Orphelines, Franck Bouysse.

Franck Bouysse, c’est un auteur de chez moi, un auteur de mon Limousin natal, que je suis toujours contente de lire. J’avais adoré Né d’aucune femme, j’étais restée sceptique devant Vagabond. Ce hiatus m’a permis d’aborder Orphelines sans attentes démesurées, de ne garder que le plaisir de découvrir un polar de l’auteur, sans attendre à être subjuguée.

Dans Orphelines, nous découvrons une atmosphère pesante, un criminel tue des femmes, dans des mises en scènes terribles. Bélony et Dalençon, les enquêteurs peinent à mettre la main sur lui, et enragent de le voir jouer au chat et à la souris avec les autorités. Ils doivent arrêter ce criminel, coûte que coûte, alors même que leurs vies personnelles sont chaotiques : décès d’un proche pour l’un, vie amoureuse compliquée pour l’autre.

Tout d’abord, j’ai adoré retrouver la plume si singulière de Franck Bouysse. C’est une écriture chantante, qui résonne au plus profond du cœur du lecteur. Elle est faite d’une musicalité propre qui confère une saveur assez rare à la lecture. La rythmique des phrases se fait tantôt longue tantôt lapidaire, créant une mélopée qui convient parfaitement aux errances émotionnelles des protagonistes. Cette plume m’a une fois de plus parlé. Elle traduit bien la bascule vers la folie du meurtrier, son monde personnel glaçant et inquiétant. Elle traduit également très bien les doutes des personnages principaux, leurs atermoiements et leurs souffrances.

Bien que le roman soit court, les personnages sont bien campés. Nous pouvons très bien nous imaginer Bélony et son caractère. Nous voyons un portrait assez net de sa coéquipière également. La brièveté du livre ici n’engendre donc pas de superficialité du contenu : les êtres se dévoilent à nous, et chaque détail prend sens au sein de l’œuvre. Rien n’est laissé au hasard, c’est ce qui rend aussi la narration efficace. Certaines parties qui semblent être des « à côtés » sont en réalité les prémisses d’un renversement de situation et offrent donc plus tard au lecteur un moment de lecture savoureux. Le roman contient ce qu’il faut de rebondissements, d’erreurs, de faux pas et d’avancées. Il y a là un bel équilibre.

La résolution de l’intrigue est intéressante. La figure de l’assassin est travaillée, préparée avec soin, et parvient à nous surprendre puisque l’auteur ménage un petit coup de théâtre qui nous déstabilise au dernier moment. A cela s’ajoute un travail sur les lieux, sur l’environnement : ici, la campagne, la ruralité prend une place entière et vient s’adosser aux personnages créés pour donner une strate de sens en plus. Finalement, les lieux sont aussi le témoin immobile de drames aux lourdes répercussions, de fissures dans le cœur et de crimes inouïs. Par sa manière de décrire les lieux et les êtres, l’auteur fait exister tout cela, et cela donne un charme tout particulier. Il y a là un véritable art de peindre avec des mots des lieux, et ces mots sont entrés en résonnance avec la campagne de mon enfance, renouant avec un passé adoré pour donner corps à une lecture. J’aime beaucoup lorsque, par le travail sur le langage, les auteurs arrivent à faire émerger ainsi des bribes de notre passé, des bribes de lieux, des bribes de souvenirs qui permettent de nous parler intimement et d’ancrer la lecture dans un réel signifiant pour le lecteur.

Mon seul regret vient de la chute : elle est intéressante, savoureuse, bien amenée, je n’ai aucun souci là-dessus. Elle a cependant un goût de trop peu pour moi. Le lecteur sent confusément ce que le criminel a pu vivre, nous sentons les traumatismes affleurer comme un miroitement à la surface de l’eau, insaisissable morceau de passé que nous ne comprendrons jamais pleinement. Cela crée une fin à l’arrière goût énigmatique, pas déplaisante mais frustrante. Finalement, c’est la brièveté de l’œuvre et ses contraintes qui m’auront moins séduite. Après Vagabond qui m’avait clairement laissée sur ma faim, ce petit polar est très agréable, mais sans égaler Né d’aucune femme pour autant.

Ainsi, j’ai aimé Orphelines de Franck Bouysse. J’ai retrouvé avec délectation une plume singulière à la poésie bien ancrée et à la force évocatrice puissante. L’enquête est intéressante, ménageant coups de théâtre et révélations malgré la brièveté de l’ouvrage, laissant malgré tout une envie d’encore, une fois que la dernière page se tourne.

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