
En mars dernier, j’avais hésité à lire le dernier roman de Fitzek, Siège 7b, et devant l’avis de mon amie Clem du blog YouCanRead, je m’étais lancée après la bataille et j’avais été conquise. Alors, cette fois-ci, je n’ai pas hésité une seconde à découvrir Le Cadeau. D’ailleurs, petit fait amusant : l’avis de Clémence paraîtra aussi sur ce roman, nous l’avons lu à une semaine d’écart, et une fois de plus, nous avons longuement discuté autour de notre lecture.
La quatrième de couverture intrigue : Milan aperçoit dans la voiture à côté de lui, à un feu, une adolescente terrorisée qui plaque une feuille de papier contre la vitre. Milan, analphabète, ignore ce qui était écrit mais il sent confusément le danger qui rôde. Lorsqu’il part à sa recherche, une odyssée terrifiante commence pour lui. Sa petite amie l’accompagnera dans sa quête, sur les traces de son enfance, levant le voile sur des secrets enfouis.
L’auteur choisit une structure narrative une fois de plus très efficace. Elle est parfaite pour nous induire en erreur, nous faire douter, nous perdre et nous ménager donc de belles surprises. Les deux premiers chapitres donnent le ton et nous présentent Milan et son passé de façon abrupte : son surnom, ses magouilles et là commence la première opération de floutage des contours pour le lecteur. Nous savons donc dès le début que nous serons ballottés et surpris.
La plume de Fitzek a quelque chose d’incisif. Nous sommes emportés toujours plus avant dans une foule de péripéties, dans des courses folles qui nous enivrent et nous assomment, anesthésiant nos sens et nous empêchant de trop penser. Cette rapidité d’action permet à l’écriture d’être saisissante. Nous sommes, comme Milan, étourdis par le tourbillon d’événements et cela aide à nous porter l’estocade le moment venu. Alors bien sûr, d’aucuns diront que l’histoire est rocambolesque et somme toute assez peu crédible si nous devions analyser chaque passage. Sans doute. En même temps, tous les films que nous regardons et que nous apprécions sont-ils crédibles? Non. Je dirais que le plaisir de cette lecture ne réside pas forcément dans son caractère plausible, mais plus dans la complexité et dans le maillage serré pensé par l’auteur pour nous lancer sur de fausses pistes, pour nous ménager des drames et de terribles perversions.
Plusieurs drames se jouent dans ce roman, à différentes strates : une relation père-fils complexe, faite de non dits, de peurs et de secrets enfouis, sous une couche d’amour et de culpabilité ; une relation mère fille perverse et violente qui nous ménage un renversement de situation bluffant ; un handicap et des soins médicaux à faire frémir créant un passé lourd et envahissant au quotidien ; un présent fait de douleur, de demi vérités et de choix déchirants. Tout cela crée un imbroglio que le lecteur met un temps fou à démêler car aucun être de ce livre n’est exempt de secret : Milan et son analphabétisme, certes mais pas seulement, Andra et son passé, Lampek et ses vraies motivations, Kurt – le père de Milan -, Karsov -le médecin-, Zoé, Lynn et même Solveig et Jakob. Finalement, dans ce roman, ceux qui semblent les plus innocents sont parfois bien coupables et ceux qui paraissent le plus coupable, ou le plus dénués de bon sens sont ceux qui sont les moins à blâmer. Ce jeu de dupe avec le lecteur est bien évidemment savoureux. C’est d’ailleurs ce que j’aime avec les romans de Fitzek : il y a toujours un abîme entre ce que nous croyons comprendre, les soupçons que nous avons et la vérité qui éclate. J’aime cette historie menée tambour battant, j’aime cette course effrénée en avant malgré ses incohérences et j’aime le coup de massue à la fin. En fermant ce livre, j’ai eu exactement ce que j’y cherchais : plusieurs heures hors du temps, comme anesthésiée de la vraie vie, les turpitudes des êtres dévoilées dans toute leur horreur glaçante, des personnages parfois humains parfois monstrueux, et un coup de théâtre délectable à la fin.
Une des grandes réussites dans Le Cadeau réside dans le jeu de piste avec le passé de Milan. Le code, le livre, le jeu autour de l’ignorance bénéfique qui s’oppose aux vérités qui éclatent les unes après les autres, toutes plus douloureuses ou atroces selon les cas. Pour cela, la mise en place du duo mère- fille Zoé / Lynn est absolument parfait. Lorsque nous croyons en avoir saisi toute l’horreur, nous réalisons que tout n’était qu’un château de carte et que la réalité est mille fois plus révoltante et repoussante. Le personnage de Jakob cristallise aussi lentement dans toute son horreur et permet d’arriver à une chute efficace à défaut d’être tout en retenue.
Ainsi, avec Le Cadeau, le lecteur a ce qu’il cherche : une aventure trépidante, déroutante et désarçonnante qui se mâtine d’une plongée dans l’horreur et les turpitudes, éclaboussée de secrets honteux et inavouables. Le lecteur est emporté et ce moment enivrant de rebondissements vaut bien les quelques passages peu crédibles.