J’avais beaucoup vu ce roman sur Franck Bouysse sur Bookstagram, et les avis enthousiastes me faisaient un peu peur, je craignais d’être déçue en tentant l’aventure… Et puis, une amie me l’a offert pour Noël cette année. Alors, la question ne s’est plus posée : je me suis lancée ! C’était la première fois que je découvrais le plume de Franck Bouysse et je ne le regrette pas!
Né d’aucune femme nous laisse découvrir un prêtre, appelé à bénir le corps d’une défunte, mais cette demande en cache une autre : prendre des cahiers, cachés auprès de cette défunte. Après l’incompréhension, vient le temps de la lecture et des révélations… Des révélations dont personne ne sort totalement indemne.
J’ai tout d’abord été frappée par la plume de l’auteur. La langue est ici souple et aérienne pour parler de choses terribles. Nous avons d’abord le récit cadre : celui qui nous guide sur les pas de Gabriel, le prêtre. Nous suivons ses incertitudes et ses doutes face à une demande peu conventionnelle, puis lorsqu’il trouve les carnets, il s’efface et la voix de Rose, celle d’Edmond, celle d’Onésime retentissent tour à tour, apportant chacune leur coloration, leurs espoirs, leurs désillusions et leurs drames, de courage en petites lâchetés, la toile se tisse et les maillons du drame se mettent en place. La polyphonie que l’on trouve ici est au service du sens. Le lecteur peut sentir, de page en page, les apparences se fissurer pour révéler toute la vraie nature de chacun, il sent aussi les espoirs se lézarder, avant d’éclater dans une pluie de pleurs.
La voix de Rose est particulièrement émouvante. Elle vous serre le cœur et vous arrache les entrailles. C’est une voix tissée de candeur et de rêves, une voix lumineuse que le chagrin voile peu à peu, qui l’étouffe pour mieux la faire renaître. Rose est malmenée, instrumentalisée. Le Maître et sa mère la dépossèdent de tout, même d’elle-même, et pourtant, foulée aux pieds mais pas brisée, Rose renaît, combat, essaie d’avancer. Résiliente à l’excès, elle reste un personnage d’une force surhumaine, d’un courage sans borne. J’ai adoré l’apparente simplicité avec laquelle elle nous relate sa vie, son arrivée au château, son travail de domestique. Mais sous cette simplicité se cache aussi la rudesse de la vérité, car rien ne nous sera épargné et les affronts que le destin lui fait nous sont aussi contés sans détour, dans toute leur horreur crue, sans voile de pudeur, sans masque de poésie. La vie de Rose devient dès lors un chemin semé d’épines, qui toutes, tour à tour, se fichent un peu plus dans notre cœur de lecteur. La femme que je suis n’a pas pu faire autrement que de compatir, de souffrir à l’unisson avec Rose. Cette lecture est belle, assurément, mais elle est aussi pesante : l’atmosphère reste oppressante.
La ruralité sert également de catalyseur au thème du roman et lui confère une sonorité particulière. L’isolement, la dureté de la vie, les extrémités auxquelles chacun est poussé sont des éléments clefs dans le destin des personnages. Alliés à la noirceur intrinsèque de certains êtres, à leurs ténèbres personnelles, cela crée un cocktail détonant. Acculé avec de tels êtres, abandonné de tous, on ne peut que s’enfoncer dans la tragédie. Finalement, au-delà des figures monstrueuses dans ce livre, nous avons aussi un enchevêtrement de décisions qui toutes concourent à la catastrophe finale. Et, sous des querelles d’ego, sous la tyrannie et l’orgueil, c’est aussi la banalité du mal qui est suggérée. La personne la plus honorable en apparence peut cacher en son sein un monstre, comme c’est le cas pour quelques uns ici. Et, le temps de découvrir la vérité sur les êtres, il est parfois trop tard pour se dépêtrer de la situation.
La brutalité, la violence innervent chaque page, et les éclairs d’humanité servent à mieux révéler toute l’horreur du destin de Rose. Edmond fait partie de ces figures ambivalentes, lumineuses, dotée d’une vraie bonté, mais entravées par la peur, par les petites lâchetés du quotidien. Il met en évidence le puits sans fond de cruauté de la vieille dame, et celle de son fils et agit comme un révélateur. Onésime fait froid dans le dos, paraît calculateur avant de mieux laisser épanouir un courage sans fin, mais hélas tardif. Le prêtre apparaît lui aussi comme une des belles figures au milieu de la noirceur, mais son impuissance résonne douloureusement dans nos cœurs, décuplant la souffrance que la vie de Rose y fait éclore. Jusqu’au bout nous espérons qu’il pourra faire quelque chose, et finalement, la chute proposée par l’auteur est encore plus belle, toute en retenue et en non-dit, baignée d’un espoir contenu et fragile, qui nous réchauffe le cœur, dans souffle furtif.
Ainsi, j’ai adoré ce roman. Né d’aucune femme est une lecture belle et douloureuse et résonne longtemps dans nos cœurs. La plume fait surgir du néant autant de voix qui nous entraînent au fond de l’horreur et nous laissent pantelants devant le tragique d’une existence foulée aux pieds, méprisée, mais pas brisée. Franck Bouysse nous conte avec brio un destin de femme poignant.
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