Le Destin de Cassandra, Anna Jacobs.

Le destin de Cassandra par Jacobs      Cela fait quelques jours déjà que j’ai terminé Le Destin de Cassandra, et je dois dire que je suis enchantée de ma lecture. Ce roman est déjà en lice pour être prêté et alimenter des discussions livresques car je connais trois lectrices qui seraient séduites! 

      Ce roman se déroule en 1861, en Angleterre, temps de crise où les filatures de coton ferment, temps difficiles où la vie des femmes et des ouvriers n’est pas aisée. Nous découvrons alors une famille hors normes, celle d’Edwin Blake et de ses quatre filles : Cassandra, Pandora, Xanthe et Maia. Des femmes courageuses qui devront surmonter bien des obstacles et affronter bien des coups du sort, surtout quand leur tante s’en mêle pour les conduire à leur perte.

       Vous l’aurez compris, nous avons ici une saga familiale, un peu à la Jane Austen : la place des femmes est prépondérante dans ce roman, qu’il s’agisse de femmes dévouées à leur époux, de femmes acariâtres aimant à ruiner la vie des autres, d’ouvrières réduites à la misère. La question du mariage, de la classe sociale, des inégalités entre les classes sociales et les effets de la société puritaine de l’époque ont aussi la part belle et compliquent grandement la vie de nos quatre sœurs. J’ai beaucoup aimé retrouver ce regard affûté sur la société et ses travers. La figure du pasteur catholique est terrible : homme de foi, mais surtout homme dur, méprisant pour les classes ouvrières, courtisan des puissants, il se retranche derrière une foi qui n’en est plus vraiment une et se laisse berner par l’hypocrisie, l’envie et la méchanceté si l’argent entre en lice. Un homme redoutable et détestable qu’Anna Jacobs rend insupportable avec un réel brio. Heureusement pour nos héroïnes, cet homme cruel trouve son contrepoint avec le pasteur méthodiste et, l’oeuvre ne bascule pas vers une satire de la religion mais bien vers une critique implicite des travers humains et de l’attraction de l’argent sur les êtres. A cela s’ajoute bien entendu, la mesquinerie des uns et des autres, la brutalité, les petites cruautés ordinaires qui donnent tout le tragique du roman. 

      La figure de la tante Isabel Blake irradie de cruauté et de méchanceté, sans être caricaturale. Elle est l’incarnation de la femme mauvaise, perverse même, qui s’enorgueillit de blesser autrui. Elle poursuit de sa haine implacable ses nièces et de page en page, le portrait de cette femme nous glace le sang. Elle est pourtant la pierre angulaire du roman, car tout découle d’elle et de sa haine. Comme les sœurs n’ont plus leur mère, elle constitue une figure maternelle inversée, à l’image des marâtres des contes, et tient parfaitement son rôle dramaturgique. Sans gâcher le plaisir de la découverte, je vous dirai juste que l’autrice nous ménage une chute des plus savoureuses la concernant et que je n’ai pas boudé mon plaisir en la découvrant!

      Cassandra et ses sœurs sont bien entendu au cœur de l’oeuvre aussi. Je ne m’attarderai que sur Cassandra, bien que toutes aient un vrai rôle à jouer. Elle est étonnante et nous séduit assez vite. Elle se montre forte dans l’adversité, accepte la déception amoureuse avec une bravoure réelle, se sacrifie pour les autres. Elle est aussi une femme intelligente et audacieuse, qui ne se laisse pas écraser par les autres et leur superbe. Franche jusqu’à s’attirer les déplaisirs des grands, elle sait être raisonnable lorsque la situation l’exige et faire taire son cœur indépendant et fier. Cassandra est réellement une héroïne, comme le sont Elisabeth Bennet ou Elinor Dashwood… et bientôt, le souffle de l’aventure et du Destin nous emporte avec les sœurs par delà les mers.

      Alors, effectivement, il y a des passages attendus notamment entre Reece et Cassandra, il y a quelques scènes classiques, mais cela ne gâche pas non plus la lecture et ne fait pas basculer le roman dans le cliché.

      J’ai particulièrement aimé la narration, douce et fluide, elle s’écoule et les pages glissent entre nos mains sans que nous ne nous en apercevions. La critique sociale est subtile, elle ne freine jamais la lecture, n’alourdit pas le phrasé. Et, un peu à la manière d’un Steinbeck, Anna Jacobs évoque le sort des ouvriers, la dureté de la vie, la perte de l’emploi, la misère et l’exode, sans misérabilisme, sans atermoiement et sans pathos, de manière simple et directe. Alors, bien entendu, la plume n’est pas la même, mais le lecteur retrouve le plaisir d’un roman aux mille facettes, pas juste une romance, pas juste un roman social. Ici, individu et société sont sans cesse intrinsèquement liés, que ce soit en Angleterre ou en Australie, terre d’asile, terre de nouveau départ ou terre d’échec, cela, seul le tome 2 nous le dira. J’ai vraiment aimé cet aspect de l’écriture qui permet de nous captiver et de nous ballotter au rythme des mésaventures des personnages.

       Ainsi, Le Destin de Cassandra est une très jolie lecture : les personnages sont hauts en couleur, l’écriture est fluide et rien ne l’entrave, le souffle de l’aventure et de la tragédie tourne les pages plus vite que nos doigts… Je quitte à regrets Cassandra et ses sœurs car je sens venir d’autres orages au dessus de leur tête et je crains déjà pour elles. 

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