
Quand on m’a proposé de découvrir ce roman d’Estelle Tharreau, j’ai hésité. Le titre déjà « Il était une fois la guerre », le thème aussi. Je ne suis pas une grande férue des récits de guerre, des considérations militaires alors j’ai réfléchi à deux fois. Je me suis dit que j’avais déjà découvert la plume de l’autrice avec son recueil de nouvelles Digital Way of Life, et que cela m’avait plu. Alors, j’ai donné sa chance à ce roman.
Ce roman met en scène Sébastien Braqui, un soldat chargé d’assurer la sécurité des convois logistiques en zone de guerre. Il part plus souvent qu’à son tour, sur des zones de guerre d’une violence inouïe. Mais un jour, ce soldat gêne. La défaite est là, les gens et les autorités veulent oublier. Un retour, un rejet, une descente aux enfers que seuls comprennent ceux qui ont vu, ceux qui savent.
Je ne mentirai pas. J’ai commencé ce thriller une première fois, et je l’ai arrêté. Ce n’est qu’un mois après que je me suis dit que je ne pouvais pas rester sur cette impression de rejet. Le début est – à mon sens – aride et violent. Cela a buté la lectrice que je suis. Doucement, les souvenirs de ma première lecture de l’autrice ont fait leur chemin. Je me souviens d’une plume acérée, qui tranche dans le vif du sujet, qui dérange et gêne aux entournures, qui se fait violente et dure pour montrer aussi la violence du monde. Alors, je m’y suis remise, armée, cette fois-ci, j’ai enfilé ma carapace, je me suis préparée à une lecture ardue, dérangeante et j’ai dévoré le roman. Il faut avoir le coeur accroché pour lire ce livre. Il faut être en capacité d’accueillir dans son cœur et son esprit la violence du monde mais aussi la douleur infinie de celui qui se sacrifie pour les autres puis qui est renié. L’abandon. Il faut pouvoir recueillir l’abandonné grognon, taciturne, que l’indignation et l’injustice confinent bientôt à l’autodestruction et à la violence.
Le personnage de Sébastien est la clef de voûte de ce roman. Dans le début du livre, il est détestable. Sa violence verbale et non verbale créent un véritable repoussoir pour le lecteur. On est au-delà du personnage bourru. Il fait le vide autour de lui. Et, doucement, le lecteur comprend. Mais nous ne comprenons que grâce aux éclairages du passé. L’homme qui se dresse devant nous est un homme qui a vu des choses que personne ne devrait voir. Son coeur a été blessé mille fois, mille fois il a enduré l’innommable, l’horreur pure, et mille fois il a dû faire face, serrer les dents, encaisser et avancer. L’histoire de Sébastien, c’est l’histoire de beaucoup de personnes. Des êtres qui affrontent avec courage les défis devant eux, des êtres qui n’osent pas demander de l’aide de peur du jugement, de peur du rejet ; des êtres bousculés en profondeur par les atrocités dont ils sont les témoins ; des êtres qui sous leur apparente violence n’arrivent plus à trouver le chemin pour dire l’horreur, pour dire le désarroi, pour dire la souffrance. L’histoire de Sébastien, c’est aussi l’histoire de tous ceux qui veulent protéger leur famille et qui à force de taire leurs traumatismes, érigent un mur infranchissable entre eux et ceux qui les aiment.
Le lecteur assiste non seulement à une descente aux enfers, mais aussi à un gâchis incommensurable. Il voit se forger un océan d’incompréhension. Il voit Sébastien et sa famille s’éloigner, irrémédiablement, sans qu’aucun pont ne soit assez puissant et assez solide pour relier ces terres de désespoir et de souffrances. Le drame est bien là. Tout le monde souffre dans ce thriller : Sébastien aux multiples traumatismes, qui s’enfonce toujours plus dans le mutisme ; sa femme qui se sent abandonnée, seule, incomprise, reléguée aux renoncements et aux acceptations pour un époux qui ne voit pas ses efforts ; leur fille – écartelée entre un père qu’elle aimerait admirer mais qui lui fait peur, et une mère dont elle perçoit la souffrance.
Plus le lecteur avance, plus sa compassion grandit. Nous aimerions que Sébastien arrive à passer le cap, qu’il mette des mots sur ses maux, qu’il entreprenne le travail de deuil, qu’il panse ses blessures morales. Malheureusement, toute la société lui met des bâtons dans les roues. Il devient une cocotte-minute.
Une des forces de ce roman est de montrer la nécessaire entraide. Il est des choses que l’on ne peut pas réellement appréhender dans leur pleine complexité si on n’y a pas été confronté. C’est alors que des personnes bien intentionnées peuvent faire office de passeur. Parfois, l’homme a besoin de quelqu’un pour l’aider à dire, pour accompagner sa parole, pour faire ce pas de côté qui coûte trop parce qu’un ultime rejet serait trop dur.
Le rôle du journaliste de guerre, l’ami de Sébastien, est crucial dans ce thriller à plus d’un titre. Crucial pour le lecteur car il nous aide à voir un Sébastien en actes – et à nouer avec lui un vrai lien affectif – et crucial pour Sébastien car il sera le catalyseur qui l’aidera à trouver une solution.
Enfin, ce roman offre un regard sans concession sur la guerre, ses traumatismes, sur l’instrumentalisation politique fait des guerres – victoires comme défaites – et sur les vies brisées, les vies des soldats, les vies de leur famille, les vies des victimes. La représentation des bourreaux est également intéressante : les victimes d’hier peuvent être les bourreaux de demain ; les bourreaux d’hier peuvent se présenter comme les victimes… Ce thriller propose au lecteur l’imbroglio qui naît de certains conflits et ce faisant, il montre les multiples drames humains qui en résultent, tout en instillant un sentiment d’urgence constant.
Ainsi, je suis très agréablement surprise par ma lecture. Il était une fois la guerre est un thriller prenant, original et terriblement humain. Il est porté par une plume mordante qui ne peut pas laisser indifférent.