Topographie de la terreur, Régis Descott.

Topographie de la terreur est le premier roman de Régis Descott que je découvre. Le titre m’a interpelée et le thème m’a plue, je me suis donc lancée sans grande hésitation.

Ce roman se déroule en 1943, à Berlin. La répression du régime nazi est à son apogée. Dans ce contexte, Le commissaire Lenz doit enquêter sur une série de meurtres qui l’amène à découvrir l’étendue du programme d’euthanasie du régime. Sa position est vite mise en péril par sa vie privée avec le retour de Flora, son amante, une jeune femme juive, enceinte de lui, qu’il tente par tous les moyens de sauver des griffes du régime.

Topographie de la terreur porte bien son nom. Il emporte le lecteur dans les arcanes du pouvoir, dans les dédales de l’administration, il nous fait entrer dans les lieux de pouvoir, dans les lieux où sont exécutées les décisions. Nous cheminons aux côtés de Gerhard au milieu de cet univers, et comme lui, nous reconstituons le puzzle. Le commissaire reconstitue peu à peu, patiemment le fil de mille et une tragédies, prend conscience progressivement du monstre tentaculaire qui s’étend, car le régime nazi est bien un monstre tentaculaire, qui cache sa barbarie derrière des faux semblants et des euphémismes. Face à l’horreur, Gerhard s’indigne, et, incrédule, essaie de lutter à sa façon. Mensonge par omission, sous-entendu, ironie, il use des maigres ressources à sa disposition pour changer les choses, à sa mesure, et ainsi, il essaye de sauver sa part d’humanité.

Ce roman nous parle en effet d’humanité. Il nous parle de justice, de la justice du cœur, de ce qui est bien. Gerhard est celui qui ne peut se résoudre à suivre les ordres, qui est horrifié du tour que prend la situation. Il est lucide sur ce qui se passe, et ce qu’il met au jour se charge de lui retirer ses dernières illusions. Dans son combat, seul contre tous, il a des alliés, des alliés inespérés, parfois improbables, surprenants. Chacun, à son, échelle, se démène, tentant de sauver sa vie et de faire le bien. Son frère, à sa manière, l’aide. Ce qui est tragique dans leur relation, c’est qu’ils ne réalisent, chacun, qui était pleinement l’autre, que lorsqu’ils se sont perdus, un peu comme si la suspicion amenait à être prudent, à masquer ses traces au maximum pour éviter des aveux compromettants en cas d’arrestation. Cela isole les dissidents mais témoigne aussi du courage et de la force des individualités.

Cet ensemble crée une atmosphère poisseuse et pesante. L’auteur parvient parfaitement à faire sentir l’oppression, la peur constante qui étreint les personnages, ce sentiment diffus d’être surveillé, de ne pas être pleinement libre. Gerhard, en tant que commissaire doit jongler entre l’apparence allégeance au régime qu’il est de bon ton d’adopter et sa conscience, son frère journaliste doit taire ce qu’il pense et ce qu’il ressent pour garder sa place. Leurs convictions se retrouvent dans des petits actes de bravoures, de petites transgressions qui apaisent le cœur et permettent de se regarder en face. Il en est de même pour certains personnages féminins : nombreux sont ceux qui jouent un double jeu dans ce roman, ce qui pimente le récit.

L’auteur a ciselé ses personnages et a réussi à montrer les turpitudes humaines autant que les rébellions grandioses. Nous trouvons ici des collaborateurs acharnés, des zélés détestables mais aussi des résistants de l’ombre, courageux, puissants dans leur refus de céder à la peur et dans leur soif de vivre. Nous trouvons aussi les désespérés – sauvés in extremis – ou contraints au pire, comme ces malheureux juifs arrêtés, torturés, qui sont devenus espions pour démasquer les Juifs clandestins, espérant monnayer ainsi la vie sauve à leur propre famille. Ce sont des choix glaçants : quand l’impensable devient réel, quand la limite de l’impardonnable est franchie pour essayer de se sauver. Cela confère au livre une véritable matière humaine, sans sombrer dans le misérabilisme ou dans des exagérations manichéennes. Cela rend aussi le roman saisissant et captivant car nous avons envie de découvrir comment les personnages évolueront, nous avons envie de découvrir leurs secrets.

Le rythme du récit est singulier. Il est à la fois lent lorsque le commissaire se débat dans les dédales de l’administration et qu’il avance à pas feutré, et rapide lorsque l’étau se resserre autour de lui, à mesure qu’il touche à la vérité. Le lecteur est emporté dans une course folle, il s’attache à Gerhard, à Arnim, à Flora. Il déplore les imprudences, il croise les doigts, espérant un salut… L’alliance d’éléments historiques et d’éléments romancés contribue grandement à cette tension qui s’installe chez le lecteur. Le récit est ancré dans l’histoire. Il y a sans doute eu des Gerhard, des Arnim, des Flora… autant d’êtres qui ont souffert, aimé, lutté, essayé, et cela nous touche.

Ainsi, Topographie de la terreur est une très bonne lecture. Il met en valeur la chape de plomb qui pèse sur les individualités et le poids des choix. Il laisse entendre la détresse humaine, les conflits de loyauté, des peurs, les doutes, les aspirations à la liberté, les petites rébellions et les grandes indignations. Il montre l’humanité aux prises avec l’histoire, sous l’histoire individuelle, et encore et toujours, la littérature nous parle de l’homme et de la force des choix individuels.

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