Le Château des animaux, Delep & Dorison.

J’ai vu par hasard cette BD en librairie, et j’étais vraiment tentée. Pour une fois, j’ai résisté à l’appel du livre et finalement, j’ai eu le plaisir de découvrir les deux tomes au pied du sapin… Décidément, ma famille connaît très bien mon addiction aux livres et l’entretient avec ferveur!

Pour faire simple : les hommes sont partis. Dans le château, il ne reste que les animaux : poules, chèvres, ânes et moutons s’épuisent à la tâche pour le prestige du Président Sylvio, qui s’est entouré d’une milice de chiens. Sous le nom de République des animaux, une vraie dictature règne.

J’ai eu un coup de cœur pour la beauté des graphismes. Les dessins sont d’une douceur et d’une précision terrible. Nous avons l’impression de voir et de percevoir la douceur du poil de Miss Bengalore, la fourrure duveteuse des lapins nous saute aux yeux; les expressions sur les visages des animaux sont particulièrement bien rendues : peur, indignation, résignation, colère, agressivité, sérénité aussi. Tout est parlant, tout concourt à nous emporter dans le récit, à faire naître chez nous l’empathie ou l’aversion, à faire naître un sourire sur nos lèvres ou à nous faire frémir. En effet, la douceur du trait ne masque pas la cruauté des Maîtres. Ainsi, le dessin sait se faire agressif, parcouru de lignes dures, de gros plans saisissants, de focalisations sur des détails sordides en boucheries démultipliées par la case agrandie. Les choix stylistiques sont donc un langage au sein du langage. Ils parviennent à dire, à crier, ce que le texte ne nous dit pas : l’horreur, la terreur, la cruauté, la morne résignation des opprimés. Mais par sa beauté et sa force évocatrice, il nous dit aussi l’espoir balbutiant, l’amour et l’entraide qui, en fin de tome, semble remonter des tréfonds du cœur des petits.

Cette bande dessinée est une très belle (et glaçante) métaphore de la société humaine. Par le truchement du monde animal, ce sont aussi des comportements humains que nous interrogeons. Cela en fait un texte universel, un dessin universel, et cela nous demande d’être attentifs, de réfléchir, de prendre conscience de notre pouvoir et du pouvoir de tous. C’est une invitation à ne pas fermer les yeux sur l’oppression, sur l’injustice, sur la terreur instaurée. La préface réaffirme le lien avec La Ferme des animaux d’Orwell, et je veux bien la croire car cette Bande dessinée est dense, lourde de sens et de réflexion. Et cela me plaît énormément!

J’ai un vrai coup de foudre pour Miss Bengalore, la chatte de cette petite communauté. Elle est d’un courage sans borne, d’une résilience rare, elle qui élève seule ses chatons suite à la mort accidentelle de son époux. L’oie Marguerite est touchante aussi, elle est la figure de proue de la rébellion, pour le meilleur et pour le pire, et quelle douceur dans ce symbole de la marguerite! Le rat est aussi un personnage clef : avec ses airs de Gandhi, il apporte beaucoup au récit, et sa manière de faire est d’une grande finesse. J’aime la réflexion autour du rire et de son caractère irrévérencieux : le rire salutaire, le rire qui dérange, le rire qui gonfle le cœur et lui redonne espoir.

Ainsi, j’ai réellement adoré cette lecture, et je suis heureuse de l’avoir, de pouvoir la relire et la partager avec les miens. J’ai tout aimé : les dessins, le sens profond, les touches d’humour, les touches d’horreur et de tragique aussi. L’œuvre est équilibrée et riche, tendre et dure, délicate et violente, elle est tissée de paradoxe car sa beauté nous fait réfléchir à l’horreur avec un pas de côté que seul l’Art permet de faire. Un bijou pour un coup de foudre livresque et graphique.

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