
Depuis quelques années déjà, je suis assidûment les parutions de Keigo Higashino car je trouve une saveur singulière à sa plume et aux polars japonais. Les Doigts rouges m’attendaient depuis leur sortie, et j’ai eu grand plaisir à le sortir de ma montagne à lire.
Maehara Akio est un homme ordinaire qui travaille modestement dans un bureau. Il vit avec sa femme, son fils et sa mère âgée. Mais un jour, sa femme l’appelle au travail pour demander à ce qu’il rentre tôt, ce qui est inhabituel. Une fois chez lui, il découvre le drame. Le lendemain, la police trouve le corps d’une fillette. Kaga Kyoichiro mène l’enquête, avec son cousin, alors jeune recrue.
Dès les premières pages, j’ai retrouvé avec bonheur l’atmosphère des romans de Keigo Higashino et sa plume singulière. Les faits nous sont racontés tout en retenue mais avec beaucoup de force évocatrice. Matsumiya, le jeune policier, vit une période difficile puisque son oncle est à l’agonie, et chaque page évoquant sa vie privée laisse filtrer l’amour pour cette figure paternelle, ainsi que son dévouement. L’attitude de son cousin Kaga Kyoichiro le désarçonne et il ne le cache pas, mais pour autant jamais l’auteur ne force le trait ou condamne l’énigmatique Kyoichiro. La chute du roman nous réserve une belle surprise, pleine d’humanité, qui offre un contrepoint délectable à l’enquête. J’aime cette manière de présenter les attitudes humaines, tout en finesse et en délicatesse, sans effet de manche.
Comme souvent dans les romans de Keigo Higashino, nous savons dès les premières pages qui est l’assassin. Le plaisir de la lecture ne réside donc pas dans la surprise de l’identité du meurtrier, et je trouve cela reposant. Cela permet d’attaquer les polars sous un autre angle. Le lecteur suit ici les atermoiements des uns et des autres, les vaines tentatives d’éluder l’inéluctable, d’échapper à la justice et au déshonneur, et, avec une ironie dramatique implacable, par leurs complots, ils sont encore moins honorables que s’ils avaient juste avoué. En effet, en voulant maquiller le crime, puis en essayant une ultime pirouette pour minimiser la catastrophe, Maehara Akio dévoile toute l’étendue de son immoralité, de son cynisme et de sa faiblesse face à son épouse. Dès lors, ce qui devient savoureux pour le lecteur, c’est le jeu du chat et de la souris entre le coupable pris dans la nasse de ses mensonges et l’enquêteur implacable, froid et professionnel, qui ne laisse rien passer.
Le fils de Maehara Akio est délicieusement détestable. Toutes ses apparitions permettent de faire cristalliser un adolescent froid, égocentrique et méprisant, seulement habité par ses propres désirs, ignorant ce que les mots « regret » ou « compassion » veulent dire. Yaeko est elle-aussi détestable comme figure d’épouse et de belle-fille, tandis que Masae, la vieille mère d’Akio, est touchante d’humanité et de renoncement. J’ai adoré cette vieille femme, à la fois solaire par sa confiance en les siens, et vibrante de douleur par sa manière de s’isoler pour fuir ce qui la blesse. Ici, ce sont aussi les liens d’une famille qui sont analysés, des liens rendus lâches par le temps, par les compromissions et par la méchanceté. Finalement, le drame réside aussi dans cet aspect du roman.
La figure des enquêteurs est un petit bijou. Matsumiya apporte un vent de fraicheur puisqu’il découvre les enquêtes pour meurtre. Ses questions, ses hésitations face à l’aplomb de son cousin permettent de façonner un binôme très agréable. Aucun des deux n’est jugeant ou méprisant, et nous avons bien une relation d’entraide, même si, très clairement, on conseille à Matsumyia de s’inspirer de Kyoichiro. Ce duo laisse entendre de nouveaux tomes centrés sur eux, que j’attendrai avec impatience, car nul doute que Matsumyia sera un personnage savoureux dans l’avenir.
Enfin, j’adore la symbolique des doigts rouges. Si le titre est surprenant car il semble faire écho à un élément très anodin, en réalité, il est d’une importance capitale. Cela permet à l’auteur de jouer avec nous et de nous offrir un ultime renversement de situation tout à fait passionnant.
Ainsi, j’ai une fois de plus adoré ma lecture. Les Doigts rouges de Keigo Higashino nous montre les efforts désespérés du coupable pour échapper à la justice, et la sagacité d’enquêteurs ménageant une porte de repli pour des aveux spontanés. Une lecture qui file entre les doigts et qui maintient notre attention sans relâche, une lecture délicieusement fine et ciselée.