J’avais adoré La Boulangère du Diable, il y a quelques mois, alors je n’ai pas boudé mon plaisir lorsque j’ai reçu Quelques gouttes de sang sur le bureau du maire un peu avant sa sortie en librairie, prévue pour le 23 janvier !
Ce roman met en scène une guerre électorale. Dans une métropole du sud de la France, les municipales de mars 2020 approchent et bientôt les amis et collaborateurs du maire sortant disparaissent tour à tour… Voilà qui remue le couteau dans la plaie et fait rejaillir une vieille histoire, celle des municipales de 2008 et leur cortège de boue. Pour Naïma qui revient dans sa ville d’origine, promue commissaire, c’est une plongée dans un passé trouble aux côtés de son ami journaliste Alex Carbonier.
Les romans d’Hubert Huertas sont vraiment étonnants. Pour être parfaitement honnête, durant les trente premières pages, je me suis demandée où j’avais mis les pieds. Je me sentais perdue dans un imbroglio politique : Naïma racontait un enterrement, puis laissait filtrer des informations sur une vieille histoire de 2008. Il y avait tant de noms, de fonctions, de guéguerres et de luttes intestines que j’ai cru un instant que la lecture serait laborieuse… Un instant seulement, car, passé ces trente pages, la lecture est addictive.
La structure du roman est en soi intéressante puisque, finalement, elle mime le ressenti de chacun des acteurs. Le lecteur se sent comme les administrés de 2008, perdus dans une affaire politico-criminelle, ne démêlant pas le faux du vrai; puis comme ceux de 2019 secoués par une affaire qui dérange sans que l’on n’arrive à faire les liens. Le désagréable goût de déjà-vu, rehaussé du souffle du scandale, des magouilles et de l’incrédulité. Cette construction devient donc signifiante au-delà de son aspect déroutant au début, et le diptyque nous permet peu à peu de faire la lumière sur les faits de 2019 mais aussi sur les faits de 2008 : nous avons une double enquête d’une certaine manière.
J’ai bien aimé les personnages dans ce roman. Le duo Naïma – Alex est amusant de régularité, leurs « je t’aime- moi non plus » rythment l’avancée, duo improbable et à la limite de la légalité. J’ai apprécié que la commissaire en charge de l’enquête soit une femme, une femme forte, sûre d’elle -sans l’être à l’excès-, une femme d’origine maghrébine que l’on ne cesse d’accuser de bénéficier de « discrimination positive »… une femme qui s’accroche à ses convictions, reconnaît et regrette ses erreurs, une femme humaine en somme. Les autres personnages sont plus effacés, sans être plus discrets : Berisha, sorte de parrain tout puissant dont nous comprenons les agissements à coup de paroles rapportées, manipulateur de l’ombre et communicateur hors pair; son épouse et ses confidences jubilatoires; les alliés russes, les hommes de paille, les syndicalistes achetés pour et par le pouvoir… J’ai particulièrement aimé les renversements de situation concernant deux personnages. Étonnamment, je ne les ai pas vus venir, et pourtant, après avoir fermé le livre, je me suis dit que c’était évident et que j’aurais dû le voir! Il est agréable de voir comment cet imbroglio a réussi à me noyer moi aussi, de sorte que je n’ai pas songé deux secondes à quelque chose d’assez classique en somme.
Je finirai cette chronique en évoquant la plume de Hubert Huertas. Une fois de plus, sa saveur particulière se déploie pleinement ici. La langue se pare de comparaisons nombreuses et parlantes, les phrases sont rythmées et le style se fait incisif par moments. Mais au-delà de tout cela, la truculence domine. Parfois vulgaire à l’image de certains personnages, la plume sait se faire plus douce, plus littéraire. Des accents baudelairiens se font entendre avec la réécriture du vers « là, tout n’est que luxe, calme et volupté », La Fontaine n’est pas en reste et le lecteur entend chanter un vers de La Cigale et la Fourmi sous la plume de Huertas; l’allusion à l’Etranger de Camus est explicite aussi… Ce sont autant de passages qui montrent une culture littéraire retravaillée pour résonner, différemment, car aucun d’eux ne devient un étalage de culture, chacun apporte un petit je-ne-sais-quoi porteur de sens dans le polar… et au passage éclaire le roman d’une lueur jubilatoire de littérarité discrète. L’amoureuse des livres que je suis a adoré remonter ce jeu de piste culturel – qui ne s’arrête pas aux classiques littéraires – et y mêle du Brassens et d’autres éléments que je vous laisse le soin de découvrir.
Ainsi, je suis enchantée par ma lecture. Quelques gouttes de sang sur le bureau du maire est un très bon polar. Il m’a captivée autant qu’il m’a déroutée, et une chose est certaine : plus que jamais j’aime le style inimitable et piquant de cet auteur!