Monstress, T 1 et 2, Marjorie Liu & Sana Takeda.

    Ces deux tomes de BD attendaient leur heure dans ma bibliothèque et, une fois le premier sorti, je n’ai pas pu attendre avant d’en extraire le deuxième. La lecture des deux est trop imbriquée pour que je puisse en faire deux articles séparés, alors, je me lance.

       Maika demi-loup est une femme étonnante. Elle appartient aux Arcaniques et, si son apparence est bien celle d’une humaine, elle abrite en son sein un Monstre des temps anciens, un dieu passé qui se nourrit d’elle et qui se réveille. Une longue quête s’ouvre devant Maïka, une quête auréolée de vengeance, de désir de comprendre, de soif d’apprendre qui elle est, d’où elle vient et pourquoi son étrange destin la poursuit. Une quête au milieu de guerres et de menaces, de luttes de pouvoir auxquelles Maïka prendra part elle aussi.

       J’ai tout d’abord été séduite par la beauté des couvertures : les lignes, le dessin subtil, l’influence de l’Art Nouveau, perceptible en filigrane, le côté ouvragé de ces belles couvertures cartonnées, les couleurs chatoyantes et changeantes, douces et fascinantes… Tout m’a plu. Et c’est toujours bon signe pour une BD quand l’objet livre m’interpelle. En me plongeant entre ces pages, je n’ai pas été déçue. La BD tient ses promesses : les planches sont superbes! Leur beauté et leur poésie nous happe. Les pages exhalent de vraies émotions : la mélancolie et l’incompréhension de Maïka, sa douleur face au fantôme de sa mère, sa colère et sa soif de vengeance, la violence nue et crue de certains personnages, doublée de l’horreur de leurs actes : les Cumaea en première ligne, mais aussi le Maître Renard sanguinaire. Ici le trait se fait parole, la couleur se fait émotion et l’ensemble parle au cœur du lecteur. Les artistes signent une BD équilibrée douce et violente, cruelle et belle. L’alternance est saisissante et… poétique d’une certaine façon. En effet, entre les pages, entre les aplats, en filigrane sous les images, une poétique de l’horreur, de la cruauté apparaît. Il n’y a pas de scène peinte pour le sensationnel, le monde du Maître Renard sur l’île au delà des Brumes est mû par une poétique propre, celle du Bizarre, de l’Étrange, du Beau aussi. La cruauté du maître des lieux, maître illusionniste et sanguinaire, effleure l’esthétique d’un Klimt et parle à notre imaginaire. Bien qu’horrifiée par ces êtres piégés en des formes et métamorphoses que je ne comprenais pas, mon regard ne pouvait s’empêcher de détailler, d’observer et de trouver une beauté dans cette représentation. La manière de dépeindre le Monstre, le Dieu des temps passés, qui vit en Maïka, est elle aussi saisissante. Une véritable poésie se dégage de ces traits, et, imperceptiblement, du dégoût et du rejet initial, nous cherchons à comprendre. C’est là, je crois, une grande force de ce trait et de cette BD en général : transcender l’horreur des actes des personnages, créer un monde fascinant qui porte le texte aussi bien que le texte porte l’image. Une alliance incomparable donc qui m’a laissée plus d’une fois rêveuse devant un dessin, la douceur d’un visage et qui a emporté mon esprit loin de mon salon.

       L’histoire en elle-même est également captivante. Tout est mystérieux, dès le début. Le tome 1 s’ouvre sur la quête de Maïka : nous ne comprenons ni ses intentions, ni ses motivations, ni son but. Nous la suivons aveuglément et, de tome en tome, nous comprenons mieux ses fêlures, ses peurs, ses aspirations. Peu à peu, ses pouvoirs nous apparaissent, la malédiction qui la poursuit également. Ses ennemis se dévoilent, et sont bien  plus nombreux que nous ne l’imaginions. Ses amis s’amoindrissent aussi et, finalement, nous ne sommes pas vraiment sûrs qu’elle en ait tant que cela, tant ce monde est tapi de choses trappes, baigné d’hypocrisie, de faux serments et de soif de pouvoir. Les traîtres sont légions : parfois, poussés par une bonne cause, pour enrayer violence et exploitation, parfois mus par une soif de pouvoir inextinguible, et, comme Maïka, nous peinons à savoir qui entre dans quelle catégorie, parfois jusqu’au point de non retour. L’histoire est donc complexe et dense, elle se déploie en mille et une ramifications, sans se perdre et s’étrangler elle-même.

      J’ai beaucoup aimé la figure des Cumaea : ces sorcières violentes, cruelles, animées par une ambition sans fond sont un ennemi de choix. Intelligentes, puissantes, rusées, elles ne reculent devant rien et je pressens déjà de nombreux renversements de situations grâce à elles. La figure de Maître Ren, chat nécromancien, m’a amusée, et après le deuxième tome, je reconnais être incapable de savoir précisément si c’est un ami ou une ennemi déguisé. Ses actes sont calculés, précis, il semble parfois favoriser son propre intérêt, et je le soupçonne d’avoir conclu des alliances dont nous ignorons tout. Je serai donc curieuse de savoir comment il va réagir ensuite.

      Maïka est bien entendu LA figure clef. Elle est le personnage central. A la fois femme fragile parce que dépassée par les forces qui l’habitent et femme forte, prête à tout pour obtenir des réponses, elle oscille sur le bord de l’abîme et plonge souvent dans les flots noirs du désespoir, de la trahison et de la manipulation. Elle se relève et poursuit. Elle est touchante par sa quête et par son destin. Nous percevons sa fragilité et sa puissance, alliance paradoxale, mais ô combien véridique. Elle lutte pour garder sa part d’humanité, pour accomplir ce qu’elle pense être sa mission et sa dureté ne perdure jamais bien longtemps.

      J’ai enfin eu un vrai coup de foudre pour Kippa, cette petite Arcanique, fillette -renard, d’une loyauté sans fond, spontanée, gentille, altruiste et terriblement touchante. J’aime les traits que lui ont prêté les artistes, j’aime le caractère qu’elle déploie sous nos yeux, j’aime son courage et sa douceur, sa fragilité et sa force. Elle est une petite pépite dans cette BD et je suis convaincue que son rôle ira grandissant. J’ai déjà hâte de savoir comment elle évoluera!

      Enfin, Monstress est une BD bluffante par sa richesse : richesse des dessins, je l’ai déjà dit, richesse de l’univers déployé aussi. Toute une mythologie est inventée, les fils sont tissés, les rancœurs et les guerres intestines sont saupoudrées de page en page. Les Arcaniques, les Humains, les Anciens… le lecteur a toute une terminologie à appréhender, mais une fois cela fait, il peut savourer le bonheur d’avoir sous les yeux un monde complet, abouti et saisissant. Guerres et conflits ne nous seront pas épargnés au milieu de cette quête, et cela en fait aussi la saveur. Au terme de ces deux tomes, j’attends toujours de savoir si Maïka va détruire le monde, répandant sang et horreur ou si elle sera l’instrument permettant d’abattre tyrans et inégalités. Cette indécision pimente la lecture et m’enchante!

       Ainsi, vous l’aurez compris, Monstress est à mon sens une BD extraordinaire pour ses graphismes et pour son histoire. Nous avons là de quoi ravir nos sens et notre imagination tout en  plongeant tête la première dans une folle équipée, en quête de révélations. J’ai tout bonnement adoré!

Une réponse sur « Monstress, T 1 et 2, Marjorie Liu & Sana Takeda. »

Laisser un commentaire