Je suis tombée en pâmoison devant la couverture de ce roman avant même qu’il ne soit publié. La maison d’édition avait à peine dévoilé le visuel que je savais qu’il me le faudrait, au plus tôt. Non seulement le titre a le charme poétique des contes de notre enfance, mais la couverture d’Aurélien Police est un enchantement à elle seule!
Ce roman retrace l’histoire de Vassia, Vassilissa de son prénom entier. Cette jeune fille est bercée par les contes de Dounia, la vieille servante, la nourrice, la presque mère. Mais pour Vassia, le monde réel est plus vaste, elle seule dans la famille voit les esprits familiers des lieux. Elle devra donc affronter des épreuves d’autant plus difficiles que sa belle-mère est une dévote acharnée et lutte contre les croyances ancestrales.
Le roman nous plonge immédiatement dans l’atmosphère feutré d’une Russie enneigée, d’une nature vaste dans laquelle le bruit de nos pas et celui du voyageur imprudent sont étouffés, empêchant toute fuite et tout retour en arrière. Les lieux mais aussi quelque divinité des temps anciens (démons, esprits protecteurs, peu importe le nom que nous leur donnons) veillent à ce que nous arrivions au bout du chemin, si bien qu’un petit bout de moi restait entre ces pages, même lorsque je ne lisais pas. J’ai adoré découvrir cet univers poétiquement doux et cruel, ces hivers rigoureux et sublimes au charme cruel, cette nature empreinte d’une magie aussi jouissive que menaçante. De page en page, nous sommes donc plongés dans un Ailleurs qui devient Monde à lui seul, à la fois intemporel et universel. La plume porte d’ailleurs le récit par sa douceur, par sa sobriété et par son élégance. Elle sait faire entendre- avec authenticité – la beauté fatale des lieux, les mesquineries des hommes, l’amour et les tensions familiales.
Immédiatement, nous nous trouvons avec Dounia et Vassia au coin du feu, nous écoutons, comme des générations d’enfants avant nous, les contes murmurés à la douce lueur des flammes. Ce texte entre donc en résonance avec l’enfant qui sommeille en nous, avec celui qui a encore envie de se laisser bercer par ces histoires douces et cruelles. J’ai été dévorée par l’envie de comprendre qui était Vassia, qui était sa mère et sa grand-mère, qui était l’étrange inconnu aux yeux de glace, l’homme borgne vu ou entrevu en rêve. Très vite, conte et réalité, mythe et ordinaire se mêlent et s’entremêlent tant qu’il devient impossible de les séparer, et le récit gagne alors toute sa profondeur, accède à l’universalité du conte tout en se déployant sur une longueur inattendue, revivifiant le genre en en détournant les codes. La filiation avec les contes s’affiche d’ailleurs dès le début. La dernière-née, cette petite fille tant désirée et prénommée Vassilissa, ne peut que faire écho à Vassilissa la très belle et à sa confrontation avec Baba Yaga. Un choix de prénom programmatique, qui scelle le destin de notre petite Vassia, et qui, dans un éclat de rire, vient parler à notre culture, clin d’œil jubilatoire qui m’a emportée et m’a ravie.
Vassia tient ici le rôle clef, et avec une prestance et un talent inégalé. Jeune fille un peu sauvage, elle a tout du feu follet, de l’esprit des bois, qui contrarie les conventions et sa famille. Elle est entière, fidèle à ce en quoi elle croit. Elle ne se laisse pas aveugler par les belles paroles ou par les discours manipulateurs. Elle fait ce qu’elle croit bon et juste, et, avec une témérité au delà du raisonnable, elle court au devant du danger pour sauver les siens. Non seulement, c’est une femme forte, mais c’est une femme intelligente, douce, aimante, respectueuse de tous. Bien entendu son caractère hors norme et entier lui attire mille et uns ennuis, particulièrement auprès de sa belle-mère et l’écho avec nos contes se fait encore sentir, souffre-douleur persécuté, elle n’a rien à envier à une Cendrillon ou une Blanche-Neige, mais point de bonne fée ici. Avec son courage et sa détermination en étendard, elle affronte seule le danger, elle se confronte à des puissances qui la dépassent, et les quelques alliés qu’elle trouve deviennent un soutien inégalable.
La forêt et les bois qui entourent le domaine familial de Vassia renouent également avec toute une tradition littéraire : ils deviennent encore une fois le lieu de tous les dangers, le lieu de prédilection des créatures magiques, des monstres avides de pouvoir et de chair humaine. Lieux fait de choses trappes, enchanté pour assurer la survie ou pour perdre l’imprudent, ils sont un véritable personnage de l’histoire. Plus d’une fois, nous frissonnons à l’évocation d’une sortie nocturne de Vassia, à l’évocation d’un hurlement sinistre au cœur de la nuit et des bois. Dans ce roman, et c’est là une de ces forces, rien n’est laissé au hasard: tout agit sur nous à la manière d’un enchantement ou d’un sortilège et nous glace le cœur.
Les personnages, en dehors de Vassia, sont absolument fabuleux! J’ai rarement lu un livre où j’ai aimé autant d’êtres. Le père de l’héroïne est à la fois tendre, bon et rude. Étrange paradoxe qui fonctionne comme une évidence. Au fil des pages, nous le découvrons à la fois gardien d’une tradition séculaire et père progressiste par amour pour sa fille indomptée et indomptable. Les frères de Vassia sont eux aussi hauts en couleur. J’ai eu un coup de cœur pour Aliocha, l’un des rares à avoir foi en sa petite sœur, une foi aveugle en une fille que chacun croit folle ou démoniaque. La belle-mère – Anna Ivanovna – est ciselée avec un talent rare. Elle est détestable et dérangeante au premier coup d’œil. Elle ressemble à un animal sauvage et farouche, craintif tout en étant affublé d’une méchanceté sans borne. Elle donc joue à la perfection son rôle de marâtre et sa présence aux côté de Vassia est un vrai ressort dramatique. Enfin, le prêtre est un petit bijou d’ennemi. Son rôle est flamboyant. A la fois victime et bourreau, cet ambitieux est tissé tout en nuances et en contradictions. Bassesses, atermoiements, rêves de grandeurs avortés, tentation du Sublime, rien ne lui est épargné. Vous l’aurez compris, la complexité des personnages a séduit mon cœur de lectrice.
Pour conclure, L’Ours et le Rossignol est un immense coup de cœur : j’ai rarement lu une oeuvre aussi jubilatoire. Katherine Arden a su toucher à la fois à l’enfant avide de contes qui sommeille en moi et l’adulte amoureuse de la langue et de la poésie des mots. C’est une pépite! Nul doute que je guetterai les prochaines parutions de cette autrice.
Oh la la j’ai vraiment envie de le sortir de ma pile à lire maintenant. Belle critique et j’espère avoir un coup de coeur également!
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