
La Quatrième feuille est le premier roman de Christophe Royer que je découvre. Un exemplaire ebook pour lire lorsque j’ai mon fils dans les bras, et c’est parfait. C’est encore une lecture que j’ai partagée avec mon amie Clémence, et c’est un vrai bonheur de poursuivre la lecture par des discussions sur la plume, sur les rebondissements. Je vous invite à aller voir son avis sur son blog YouCanRead dès qu’il sera sorti.
La Quatrième feuille met en scène Sophie, une photographe sur le point de voir sa carrière décoller grâce à son expo photo, sa meilleure amie Carole la seconde et cette vie paraît idyllique. Pourtant, tout est sur le point de basculer : des faits troublants perturbent le bon déroulement des choses et des fantômes du passé ressurgissent pour mieux contaminer le présent. En parallèle, nous découvrons Julien, un policier qui n’est plus que l’ombre de lui-même, traumatisé par une affaire dont il n’a pas su prendre l’ampleur. Et si les drames enfouis se répétaient?
La première chose qui m’a sauté aux yeux, c’est la fluidité du roman. Dès que nous entamons la lecture, nous sommes emportés dans la ronde des événements : un vernissage, une attaque, un mystère, l’urgence de découvrir l’auteur des faits et de comprendre ce qui se joue. Puis, le récit reste en suspens et nous plonge dans le passé des personnages : un passé qui éclaire le présent, qui nous montre la solidité de l’amitié entre Carole et Sophie. La pause narrative que constitue ce retour en arrière pourrait freiner le cours du récit, entraver la lecture et décourager le lecteur : il n’en est rien. Bien au contraire. Je me suis trouvée happée dans le récit du drame adolescent qui s’est joué. Les faits évoqués sont à la fois banals par les petits conflits de cour de lycée, et, en même temps, ils dépassent très largement le cadre de l’anodin. Nous trouvons ici une dynamique de l’horreur qui ne cesse de monter : les faits d’abord totalement dérisoires prennent vite une ampleur dérangeante. Ce sont des petits détails qui viennent nous mettre mal à l’aise, qui laissent un frisson nous parcourir la colonne vertébrale. Finalement, ce qui se joue, c’est une amitié malsaine, une amitié exclusive qui devient exclusion des autres et conflit ouvert. Nous assistons à l’emballement d’un cœur, à la bascule vers la folie et ses conséquences tragiques. Or, ce qui est glaçant, c’est que la montée en puissance se fait de manière insidieuse, et échappe à tout contrôle. Le lecteur comme les personnages assistent impuissants à cette course vers le drame. Finalement, dans un monde en apparence léger, nous avons une vraie tragédie qui se joue au sens classique du terme : une fois le mécanisme enclenché, rien ne peut enrayer la mécanique et tout concours au drame final. Le bonheur livresque pour le lecteur, c’est que ce passé terrible que nous découvrons éclaire le présent mais participe aussi du drame actuel. Il jette un éclairage inquiétant sur le présent, il fait planer l’ombre de la menace, du doute et plonge Sophie, Carole, Julien – le policier- dans les affres d’une hésitation et d’une incompréhension saisissantes.
Une fois le retour en arrière clôturé, l’enjeu est de comprendre les événements récents, or la tentation d’une lecture simpliste des faits emporte nos personnages sur des fausses pistes et laissent le champ libre au coupable. Il faut dire que l’auteur parvient à la perfection à nous leurrer. Comme Sophie et Carole, nous voyons l’évidence, nous nous laissons aveugler par la facilité sans subodorer que la vérité puisse être plus complexe, plus dérangeante aussi. Il y a un vrai coup de maître dans la structure de ce roman : finalement, le retour en arrière endort le lecteur tout en le passionnant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, et les événements du présent que nous découvrons ensuite nous assènent le coup de grâce, faisant surgir l’horreur d’un côté inattendu, et montrant toute la banalité du mal. Le roman nous montre en filigrane que chaque micro détail d’une vie peut devenir le lit de la vengeance, que chaque chose vécue comme une injustice peut entraîner une réaction violente lorsque l’être bascule. Dans La Quatrième feuille, il n’y a rien de manichéen, mais tout est glaçant. C’est l’humanité des personnages, du criminel qui fait toute la charge dérangeante (-et diablement efficace!) du récit.
Les personnages du roman sont croqués de manière savoureuse : Julien, en tant que jeune policier est délicieusement imbu de sa personne, infatué de ses pseudo -mérites et de son autorité, le voir agir est à la fois agaçant et intriguant car nous attendons la catastrophe, sans soupçonner son ampleur avant d’en être les témoins. Le quatuor de demoiselles est criant de réalisme : nous retrouvons toutes les petites luttes intestines pour s’assurer la préférence d’une telle, pour accéder à la considération, à la popularité dans le groupe et au-delà, nous voyons aussi l’unité se fissurer, les conflits surgir et la vraisemblance est parfaite. Les relations au sein de la famille de Sophie sont aussi tout à fait crédibles. La galerie de personnages et les faits évoqués offrent donc un solide ancrage au récit, assurant des bases solides qui permettent au lecteur de croire totalement à ce qui nous est raconté. Cela contribue grandement à la fluidité de l’œuvre puisque rien n’accroche notre œil et notre oreille et nous pouvons laisser le drame se déployer sous nos yeux.
Enfin, la structure est très savoureuse puisque nous avons deux thrillers en un. Le drame adolescent d’une part et le drame actuel d’autre part. Si le lien entre les deux est certain, chacun prend une tournure singulière et apporte son lot de surprise glaçante, d’horreur et sa part d’inédit.
Ainsi, j’ai adoré La Quatrième feuille. Christophe Royer signe un thriller captivant et addictif qui nous emporte toujours plus avant, même lorsque nous pensons être au cœur d’une pause narrative. Patiemment et savamment, il construit un drame retentissant qui nous déstabilisera. Nous assistons, atterrés, aux révélations, comprenant un temps trop tard comment les rancœurs intériorisées sont le lit de la vengeance et du drame, nous interrogeant aussi sur notre capacité à nous leurrer et à sous estimer la banalité du mal.