
J’ai eu la chance de pouvoir lire cette novella en avant première, grâce aux Editions L’Alsacienne indépendante que je remercie au passage. Cette lecture peut être intégrée au Pumpkin Autumn Challenge sans aucun souci dans la catégorie « Nom d’une dune » du menu Automne enchanteur ou dans la catégorie « La lunette de Pierre c’est extra quand on veut voir ce qu’on ne voit pas ». Même si j’ai déjà fait des lectures pour ces catégories, je glisse le livre in extremis dans ma pile à lire du challenge, juste pour le plaisir. Ecologie, nature, post-apocalyptique, petit peuple… Il y a beaucoup de thématiques qui se croisent dans ce texte.
Le récit se déroule dans un monde privé de magie. Un virus a éradiqué l’a éradiqué sous toutes ses formes. Dans cet univers triste, Priam déprime. Tout lui semble gris jusqu’à ce que sa sœur lui offre un Sylve-Dôme. C’est alors que son neveu Léonard l’entraîne dans une étrange aventure aussi belle que terrifiante.
Tout d’abord, ce récit se dévore. La plume est à la fois fluide et douce, elle glisse sous nos yeux en une jolie cascade brillante, émaillée de beaux mots, utilisés pour parfaire le phrasé, sans compliquer outre mesure le texte. Pour le lecteur, il y a un réel plaisir à se glisser dans ce monde et à se laisser porter par le récit. Je n’ai pas vu passer les 150 pages du livre, je me suis soudain aperçue que j’étais arrivée à la moitié et, en un clignement d’œil (ou presque), j’étais déjà à la fin. C’est à mon sens plutôt bon signe de se laisser bercer ainsi et de passer un doux moment hors du temps.
Et pourtant… un léger doute m’a étreinte en début de lecture. Je n’avais pas relu le résumé du livre avant de plonger dans l’œuvre, et lorsque l’autrice a mentionné un virus de 2020, qui avait été dévastateur et qui avait bouleversé le monde entier, j’ai frémi. Je reconnais fort bien que j’ai tendance à me crisper avec les livres qui exploitent la pandémie sous quelque forme que ce soit. Or, pour mon plus grand bonheur, ici, il n’en est rien! Immédiatement après cela, les explications sont tombées : le virus affectait les créatures magiques puis les sang-mêlés. Soulagement immédiat et quiétude de lecture assurée. Nous sommes bien ici à un carrefour : du post-apocalyptique sans combats débridés et moult mention d’hémoglobine, de la fantasy et de la magie sans basculer dans un univers à la Narnia ou Harry Potter, des aventures sans être de l’héroïc-fantasy. Ce doux panachage tient certainement au format court du livre. Il n’est pas possible en 150 pages de développer comme en 700. Pour autant, le lecteur ne se heurte à aucun sentiment d’incomplétude : l’ensemble fonctionne comme un parfait microcosme avec ce qu’il faut de magie, d’aventures, de surprises, d’émotions et cela m’a enchantée, d’autant que j’ai trouvé beaucoup de douceur dans ce récit aussi. Bien évidemment, si vous êtes adeptes de romans posant les bases d’un univers complexe, avec une vraie cosmogonie, des créatures fabuleuses organisées en société avec leur culture, leur passé, leurs aspirations, vous risquez d’être déçus. Dans cette novella, l’autrice va à l’essentiel, et les choix d’écriture faits le lui permettent. L’univers reste taillé à la manière d’une délicate dentelle: de la finesse, des jours nombreux qui laissent passer l’imagination du lecteur pour combler ce qui ne peut pas être dit à cause du format bref. D’une certaine façon, ce petit roman pourrait presque être une jolie mise en bouche pour un jeune lecteur se demandant si des récits un peu résistants de low fantasy pourraient lui plaire : nous y retrouvons beaucoup de caractéristiques communes, la densité des pages en moins, le plaisir de lire bien présent par contre.
La douceur du récit vient de nombreux éléments : l’amour de la nature que chante sans cesse Priam, l’amour de la culture et de la découverte qui s’incarne avec Mme Painsec, mais aussi avec Priam et Léonard, la délicatesse d’Erine, et aussi et surtout la présence de Moustache. J’ai eu très vite une affection toute particulière pour Moustache. Cette créature dans mon esprit se lie à Falkor, que j’ai toujours adoré dans L’Histoire sans fin de Michael Ende. Ainsi, Sylve-Dôme a en plus eu le bonheur de réactiver mes plaisirs livresques d’enfant en faisant écho à des personnages aimés.
Cette délicatesse du récit se double de savoureux personnages : le petit Léonard est à la fois touchant, désespérant de maladresse, et d’une curiosité et d’un courage finalement très agréables. Il apprend au fil de ses aventures à voir différemment son oncle grognon et cela nourrit leur relation. Priam, quant à lui, se révèle, et devient pleinement lui-même. Il accomplit ici sa propre quête, il apprend sur lui, sur l’essentiel et sur la vie. Madame Painsec est aussi une figure essentielle : cette petite vieille truculente donne une réelle saveur au récit. Elle est tout autant figure d’autorité par ses connaissances que fantasque par sa façon d’être. C’est un doux pilier sur lequel nos héros peuvent s’appuyer et elle nous fait sourire par son dynamisme et ses manières. J’ai beaucoup aimé la dynamique et la complicité qui s’instaurent entre nos héros. Bien entendu, Erine est un personnage clef, même si elle n’occupe pas forcément le devant de la scène en continu. Sa présence est capitale, solaire, mais ténue sans être invisibilisée. C’est un contraste étonnant et en même temps touchant car cela s’explique par son vécu. Dans ce roman, elle advient à elle-même et prend conscience doucement de qui elle est.
Ce court livre nous offre des aventures sympathiques et dépaysantes dans un cadre un peu inédit, tout en reprenant des éléments classiques du monde magique. Tout se teinte de découverte, d’exploration, de combats pour survivre mais aussi pour comprendre, réparer et sauver. L’histoire connaît des temps calmes, des pauses réflexives et des accélérations lors des moments d’urgence, le tout suffisamment bien dosé pour que le lecteur ne s’ennuie jamais et ne se lasse pas non plus d’affrontements répétitifs. Enfin, sous l’apparente désinvolture du récit, sous le côté doux et gentil, nous trouvons – en filigrane- toute une réflexion sur la préservation de la nature, sur l’écologie, sur la société, sur le monde du livre aussi et sur le lien au passé. Je trouve intéressant d’allier les deux de façon aussi délicate car selon l’âge du lecteur, les strates de sens se déploieront plus ou moins, permettant une lecture détente ou une lecture un peu plus sérieuse, mais savoureuse dans tous les cas.
Ainsi, Sylve-Dôme est une courte lecture, douce et délicate, qui nous emporte dans un univers à la fois futuriste, dépaysant et paradoxalement très familier aussi. Cette alliance nous permet de nous glisser facilement dans la peau des personnages et de découvrir avec eux de nouvelles créatures. Le temps de quelques heures, nous naviguons dans un entre-deux mondes, entre magie et monde réel. Une lecture que je pourrais conseiller aussi à un public de jeune adolescent.