
J’ai vu passer Cinq doigts sous la neige chez des lecteurs dont je suis les publications, et de fil en aiguille, j’ai été curieuse de savoir, de découvrir moi aussi, d’autant que je n’ai jamais lu de roman de Jacques Saussey. Ma sœur me l’a finalement offert pour mon anniversaire, et la curiosité aidant, j’ai sorti le roman de ma PAL.
Le récit se passe dans les Vosges en 1974. Depuis le décès de son épouse, Marc Torres, vit seul avec son fils Alexandre, dans une immense maison, isolée dans les bois. Alexandre a été d’ailleurs ébranlé par la mort de sa mère, d’autant que son père ne l’a pas autant soutenu que nécessaire, lui aussi absorbé par son travail de deuil et sa souffrance. Marc n’arrive donc pas à dire non à son fils lorsque ce dernier lui demande à fêter son anniversaire, alors même qu’il craint des débordements. La fête se passe, mais la météo est capricieuse et bientôt, la neige retient tous les adolescents prisonniers au cœur de cette forêt. Marc est inquiet. Mais que ne ferait-il pas pour son fils?
La lecture arrive à nous intriguer assez vite. Le premier chapitre met en scène une agression sexuelle, et nous sommes à la fois surpris et étonnés de nous rendre compte que nous n’avons pas les clefs. Finalement, ce n’est que bien plus tard dans le récit que les choses s’éclairent et prennent alors tout leur sens. J’ai bien aimé cette structure parce qu’arrivée à la moitié, j’avais presque zappé ce début, et ce sont des petits indices qui ont fait lentement resurgir à la surface de ma mémoire les éléments. J’ai beaucoup aimé également la chute du roman. Le coupable qui se croit sauvé, qui respire enfin et qui commet une erreur imperceptible, entrainant sa chute. Il y a une sorte d’ironie dramatique dans les revirements de situation : la victime se fait bourreau, le coupable devient victime dans une certaine mesure, et l’innocent est loin d’être si innocent que cela. Dans ce roman, les catégories sont floues et bougent sans cesse. Etonnamment, il est des réactions que nous pouvons comprendre – pas cautionner bien entendu – mais sous le choc de la sidération et de l’horreur, nous pouvons comprendre que tel ou tel réagisse ainsi, et a contrario, il y a des attitudes qui nous paraissent totalement farfelues, comme déconnectées de toute réaction saine et logique.
C’est d’ailleurs exactement ce qui se passe pour Marc Torres. A mi parcours du roman, ses décisions sont toutes plus folles les unes que les autres. Lui qui n’était pas spécialement coupable du tour que prenaient les choses devient par ses actes des plus suspects. Il agit de manière incohérente et inconséquente, comme s’il était pris de folie. Ce motif je pense apparaît en filigrane à cause du contexte mis en place : une grande maison, isolée, un enfermement subi et non voulu, avec un groupe de jeunes dont Marc Torres ne voulait pas chez lui, la neige qui vient étouffer tous les bruits et qui coupe du monde. Le lecteur peut retrouver un leitmotiv que l’on trouve dans d’autres romans également avec ce huis clos. Pensons seulement à Shinning!
Une des forces de ce roman est de nous laisser constamment dans l’incertitude. Autant nous assistons aux efforts de Marc Torres et nous sommes soufflés par ses décisions, autant nous ne savons pas à quoi nous en tenir concernant les autres personnages. La bande de copains cristallise comme un microcosme fait de chausses trappes, de violence latente et de luttes intestines pour la popularité, pour la séduction, pour exister tout simplement. Plusieurs des garçons semblent avoir quelque chose à se reprocher, semblent ne pas être clairs ; les filles quant à elles dissimulent aussi des petits secrets qui peuvent être lourds de conséquences, entre rivalité et envie.
Au milieu de cet imbroglio, deux histoires parallèles finissent par se rejoindre : celle d’un des pères d’adolescent, personnage volage et assez détestable qui va se retrouver dans de beaux draps, et celle de jeunes adultes faisant leur service militaire. La présence de ces deux fils supplémentaires vient épicer le récit, apporte des tournants décisifs et dramatiques au thème principal et nouent un peu plus serrés les fils de la tragédie. Finalement, un enchaînement de coïncidences contribuent à placer nos héros dans des situations inextricables, et à force de mauvais choix, ils n’en sortent pas indemne.
Une chose m’a étonnée dans ce roman : de page en page, j’ai rarement vu un adolescent qui devient aussi détestable qu’Alexandre et la fin du roman a réussi à hérisser toutes les parcelles de mon être, en me donnant une sensation d’inachevé alors même que les fils principaux du récit avaient déjà tous trouvé une résolution.
Ainsi, Cinq doigts sous la neige est une très bonne lecture. Le récit a su me tenir en haleine et m’étonner assez pour que je me lamente des choix des personnages. La lecture est fluide et prenante, la fin surprenante et glaçante. C’est pour moi un bon huis clos.