Autopsie d’un drame, Sarah Vaughan.

Je découvre Sarah Vaughan avec ce titre, et ce ne sera sans doute pas mon dernier roman d’elle. Le titre de ce livre m’a beaucoup intriguée. Autopsie d’un drame laisse entendre que tout l’enjeu du livre sera de comprendre comment la catastrophe est arrivée et non de savoir si nous pouvons y échapper. Pas de course contre la montre, a priori, mais une quête de sens et de vérité. Ce cheminement claironné dès le titre m’a séduite, avant même que je ne sache si j’avais raison de voir tout cet implicite ici.

Dans ce roman, nous découvrons quatre amies, quatre mamans. Parmi elles, Jess, mère au foyer de trois enfants qui se dévoue corps et âme à ses petits. C’est ainsi que Liz la voit. Pourtant, le doute s’installe lorsque Jess se rend aux urgences avec sa petite dernière et que Liz constate que l’enfant a tous les symptômes d’un traumatisme crânien. Jess semble confuse, distante. Et, bien malgré elle, Liz s’interroge sur les actes de son amie.

Ce roman est construit sur une double alternance : alternance des points de vue et alternance des époques. Cela permet de créer une intrigue vraiment captivante et de faire les rappels nécessaires sur les liens entre les personnages, sans créer de lourdeur puisque les chapitres restent relativement courts. Nous découvrons donc l’histoire telle qu’elle est vécue par Jess et Liz – avec qui nous faisons connaissance par la même occasion. Le roman s’ouvre sur cette amitié et sur ce nœud également puisque nous commençons sur un drame et sur l’arrivée aux urgences. Tous les liens entre les personnages que nous découvrirons graviteront donc autour de la maternité ou de la petite enfance. Cette narration permet aussi de mettre en place lentement et sûrement les choses. A travers la subjectivité de chacun, l’autrice nous dévoile des doutes, des amertumes, des petits secrets, des tourments intenses, toutes ces petites choses qui nous habitent mais que nous taisons, par honte ou par gêne. Ces choix stylistiques permettent non seulement de créer une vraie tension romanesque qui amène le lecteur à douter lui aussi, mais également de préparer un renversement de situation des plus savoureux à la fin. Alors que nous croyons avoir toute l’histoire et que la tension retombe, nous découvrons dans les quarante dernières pages qu’il y avait encore un secret – tapi profondément – et, finalement, cette révélation est encore plus glaçante que ne l’était la première. Cela nous maintient dans le flou jusqu’à la fin puisque les versions des uns contredisent celle des autres et qu’il faut du temps pour démêler cet imbroglio.

J’ai beaucoup aimé les personnages tels qu’ils nous sont présentés. Aucune de ces mères n’est pleinement en accord avec elle-même. Toutes doutent, espèrent bien faire, gardent au plus profond d’elle un regret, une terreur inavouable et dévorante. La peur de ne pas être une assez bonne mère, la peur de faire du mal à son enfant, la peur d’être moins bien que la copine, un passé faits de fantômes et de culpabilité… Chacune déploie des stratégies complexes pour masquer ses sentiments profonds et pour sembler la meilleure mère possible. Les personnages créés sont donc éminemment humains et touchants du plus profond de leur détresse. Alors, bien entendu, ils ne nous émeuvent pas tous à égale hauteur.

Sarah Vaughan ne s’arrête pas aux mères, ici, tout l’entourage est passé au crible : les pères, leur soutien ou leur absence, les mots des amies, ceux qui rassurent et ceux qui font douter. Le but est de montrer tout ce qui a concouru à la situation actuelle de Betsey, et tous ont une part de responsabilité d’une certaine façon.

J’ai beaucoup aimé Liz qui essaie de conjuguer vie de famille et vie professionnelle, dévorée aussi par une mère assez peu maternelle, hantée par les traumatismes de son enfance. D’ailleurs, à l’occasion de ce drame, c’est sa propre enfance qui revient comme un écho puissant. Les souvenirs de Liz se ravivent, sa mère si bourrue et taciturne, se laissera aller à quelques confidences – qui changeront beaucoup de choses. Jess est bien évidemment très touchante : sa souffrance, sa détresse morale est palpable dès les premières lignes. Mais ce n’est que dans le troisième tiers du roman que nous prenons la pleine mesure des causes de tout cela. Mel et Charlotte sont davantage en arrière plan et pourtant, elles ont aussi un sacré rôle à jouer : l’une malheureuse dans sa vie de famille, l’autre à la vie parfaite – en apparence du moins- . Ce thriller domestique sort donc du cercle de la famille au sens strict et touche aussi à la sphère amicale : connaissons-nous vraiment nos amis? Sommes-nous à même d’être objectifs et de voir leurs failles? Et s’il était plus facile de dérailler et de commettre l’irréparable que nous ne le pensions? Et, bien évidemment, la question de la dépression post-partum est ici évoquée, travaillée, sans jugement ni propos culpabilisants. On envisage comment la maternité peut devenir une souffrance au lieu du plein bonheur espéré, on évoque le tabou aussi qui l’entoure et la honte des femmes qui en souffrent. Sarah Vaughan évoque ce sujet avec justesse et délicatesse – sans pour autant masquer les conséquences terribles qui peuvent exister. Il y a beaucoup de sensibilité, de retenue et de pudeur dans la façon d’écrire sur la souffrance de ces jeunes mères.

Ainsi, ce thriller est excellent : la tension est bien là, constamment nourrie par un doute dévorant, un doute contagieux qui nous empêche, nous lecteurs, de prendre du recul. La plume est addictive et captivante, le ton juste est trouvé pour évoquer un sujet délicat et les renversements de situations sont savoureux et glaçants. Arrivés au terme du roman, nous sommes étonnés et en même temps, nous pouvons relire la scène inaugurale différemment et nous rendre compte que cette entrée en matière a aussi eu son rôle dans le roman.

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