
Les Refuges, de Jérôme Loubry, c’est mon amie Clémence qui m’a donné une envie furieuse de le découvrir, avec ses stories Instagram et son avis que vous pouvez découvrir ici. Alors, ni une, ni deux, je l’ai acheté… en même temps que son dernier roman que j’ai offert à ma mère. Eh oui, je suis décidément bien faible quand on me lâche dans une librairie!
Ce thriller met en scène Sandrine, qui est priée d’aller vider la maison de sa grand-mère, une originale vivant sur une île isolée. Sandrine découvre d’autres habitants, vivant en autarcie, comme hors du temps, mais l’atmosphère est étrange, et peu à peu, elle se rend compte qu’ils cachent un secret. Que s’est-il vraiment passé sur cette île? Qui les terrifie à ce point? Qu’est-il arrivé aux enfants du camp de vacances? Autant de questions brûlantes qui nous assaillent tout comme elles assaillent Sandrine.
La première chose qui m’a ravie, c’est la littérarité et les jeux intertextuels qui innervent ce roman. La mention du poème de Goethe Erlkönig est rapide et précise. De nombreux éléments du récit font écho au poème et créent une strate de sens supplémentaire, ajoutant une atmosphère fantastique délicieusement glaçante. Comme j’adore ce poème de Goethe – que j’ai plaisir à étudier avec mes élèves en allemand et en français – cela a fait naître de grandes attentes en moi et j’attendais clairement l’auteur au tournant, saluant l’idée originale et craignant tout à la fois d’être déçue. Force est de reconnaître que le tour de force ne réside pas seulement dans l’intertextualité parfaitement maîtrisée. L’auteur nous prend à contrecourant. Il nous entraîne sur une piste, semble nous donner des réponses (même si les aveux de Sandrine m’ont fait tiquer par leur rapidité), puis nous ramène à notre point de départ avec une ironie terrible, avant de nous submerger par d’autres révélations, ne nous assénant le coup de grâce que dans le dernier chapitre. Ainsi, nous sommes ballottés sur les flots d’une mer orageuse qui se fait mer d’huile le temps de nous duper, et nous laisse à la fin de la lecture, échoués sur le rivage, essoufflés et pantelants, étourdis par tant d’informations et de renversements. Je suis donc enchantée par ce thriller, vous l’aurez compris. Le récit a su m’embarquer et me déconcerter juste ce qu’il faut pour attiser ma curiosité et parler à mon cœur et mon esprit.
Le montage romanesque de ce thriller joue grandement dans l’effet sur le lecteur. Nous alternons les chapitres consacrés à Sandrine et ceux consacrés à Suzanne, avant de passer à la deuxième balise puis aux autres. Nous oublions très vite que l’histoire de Sandrine est un récit enchâssé et nous nous abîmons dans les rebondissements et dans le mystère des choses. La structure est donc parfaite pour nous induire en erreur et pour nous tenir en haleine, alternant des phases de doutes, de formulation d’hypothèses et de frustration. Cela permet de rendre le récit bluffant de complexité. Le montage est fin et précis, chaque infime détail compte pour nous emporter et nous dérouter. De plus, lorsque nous croyons enfin atteindre la vérité, chaque révélation est plus terrible que la précédente, mimant une plongée par strate dans l’horreur. Cette progressivité dans le drame joue avec nos nerfs et participe du suspense intenable parcourant le livre.
Les êtres qui peuplent ce livre sont tous comme des ombres dont nous ne découvrons la vraie image qu’à la fin. L’énigmatique Sandrine, victime ou bourreau, Damien, le policier déchiré par ses propres fantômes, Suzanne et ses collègues du camp de vacances, le directeur à la bonhomie presque trop parfaite, Mélanie et sa disparition… Chaque personnage de ce thriller est comme une poupée gigogne que nous croyons connaître pleinement, avant de percevoir une lueur à l’intérieur, avant de creuser puis de voir l’Autre au-dessous, sous la surface de l’eau, avant de nous sentir rassurés, forts de nos conclusions et d’être intrigués en saisissant à l’orée d’une page un nouveau miroitement, intriguant et désespérant, signe de surprises à venir. Rien n’est simple dans ce thriller. Chaque être est facetté pour réfléchir un bref instant une image, qui se fait écran de fumée. Cette caractéristique m’a beaucoup plu.
Ainsi, la complexité de ce thriller m’a séduite. J’ai adoré être ballotée de droite et de gauche, me leurrer, et découvrir à bout de souffle la terrible vérité. La structuration rend ce roman d’une efficacité redoutable et le jeu intertextuel est tout bonnement jubilatoire. Cela a été un bonheur de le découvrir, et nul doute que je lirai d’autres romans de l’auteur.