
Okuribi, renvoyer les morts m’a été proposé par Babelio dans le cadre d’une masse critique privilégiée. Je les en remercie, ainsi que les éditions Belfond car j’aime beaucoup la littérature japonaise, et c’est toujours avec grand plaisir que je découvre de nouveaux auteurs. J’intègre cette lecture à mon Pumpkin Autumn Challenge, ce sera mon deuxième roman pour la catégorie « Siroter un chocolat chaud, sous les saules », Menu Automne douceur de vivre ( pour l’évocation de l’enfance).
Ayumu est nouveau dans un village de campagne. Habitué à souvent déménager, il s’intègre rapidement dans le petit collège où seuls cinq autres garçons ont son âge. Les jeux commencent, des jeux innocents en apparence, mais mâtinés de moqueries, de défis et d’humiliations. Pour lui, le nouveau, il est difficile de trouver l’équilibre et de déceler tous les tenants et les aboutissants. Reste à savoir ce qu’il faudrait faire.
Ce roman se lit très vite. La plume d’Hiroki Takahashi est douce et poétique. Il évoque avec lyrisme la campagne, les travaux des champs, les légendes et les croyances. Il est d’ailleurs particulièrement agréable d’en apprendre plus sur les jeux, sur les fêtes, sur la fête des Morts notamment. Il y a donc un ensemble d’éléments culturels qui enrichissent le texte. Le cheminement du héros, de rencontres en découvertes, se prête particulièrement à l’expression de ce lyrisme et à ces pauses culturelles. A aucun moment nous n’avons l’impression que le lien est artificiel. La fluidité reste la règle. Tout ce qu’Ayumu voit est nouveau, inédit, plein de charmes et de promesses, source de frissons parfois. L’atmosphère de ce roman est donc singulière. Nous sentons une nostalgie nous étreindre, comme la plainte furtive du vent un soir d’automne ; les inflexions de la prose invitent à la rêverie, à la contemplation des rizières, à l’observation d’une mue d’insecte : nous sommes invités dans une bulle hors du temps, loin de notre quotidien, et cela a un effet apaisant.
Pour autant, nous n’avons pas seulement la douceur de la campagne. Bien au contraire. Nous sommes également plongés dans un établissement scolaire et ses affres. Ici, les personnages flirtent avec le danger. Les jeux évoqués sont dangereux, les dés sont pipés et l’auteur laisse entendre clairement le harcèlement subi par un élève. De jeux innocents, de petites humiliations en mises en danger, la tension ne cesse de monter. Le lecteur se demande sérieusement comment cela se finira. Cette montée en puissance permet bien entendu de maintenir notre intérêt mais aussi de créer une structure narrative forte, qui dramatise chaque fait. L’alternance avec les passages lyriques permet de faire ressortir encore plus brutalement la violence intrinsèque aux relations des adolescents.
Cette mise en lumière du groupe est aussi un moyen de montrer les hésitations et les atermoiements du héros. Dans ce roman, personne n’est pleinement innocent, mais tous sont en partie coupable : coupable de faire, coupable d’humilier, coupable de détourner les yeux et de se taire. Pour autant, à aucun moment l’auteur ne juge. Il raconte une tranche de vie de ses héros et laisse le drame parler de lui-même pour mieux saisir le lecteur. Le personnage d’Akira joue un rôle central dans la rythmique du récit : leader, figure ambivalente, il ne nous laisse pas indifférent et il nourrit aussi les interrogations du héros. Je regrette sans doute de ne pas en savoir plus sur lui, mais je crois que cela correspond aussi à l’esthétique du roman. Finalement, si la vie des protagonistes était plus détaillée, plus nourrie de petits détails, le roman perdrait certainement de sa force. La brièveté de l’ouvrage accentue cette mélancolie teintée de violence brute et ne nous laisse pas un instant de répit.
Ainsi, je suis enchantée de ma lecture. J’ai beaucoup aimé suivre Ayumu dans ses découvertes et j’ai l’impression d’avoir appris un peu sur la culture japonaise, en plus d’avoir lu une œuvre étonnante entre poésie des mots et violence du contenu. C’est donc une lecture saisissante à l’inflexion douce- amère.