
Une Bête au paradis de Cécile Coulon m’a été prêté par une amie. J’avais bien sûr vu passer le livre sur les réseaux sociaux, mais je n’y avais pas vraiment prêté attention. Il faut dire que le titre ne m’inspirait pas forcément. Mais comme je suis curieuse, je me suis laissée tenter par la découverte lorsqu’Emy m’a proposé de me le lire, d’autant que le résumé, lui, est accrocheur. Le petit plus ? Nous aurons bientôt le plaisir d’en parler ensemble!
J’ai intégré cette lecture au Pumkin Autumn Challenge, ce sera mes Ecailles de Mélusine, menu Automne des enchanteresses.
Une Bête au paradis retrace la vie d’Emilienne, la doyenne du Paradis, mais aussi et surtout celle de ses petits enfants, Blanche et Gabriel qu’elle élève suite au décès de leurs parents. Bientôt arrive l’adolescence et les premières amours, les premières déceptions aussi, qui déchirent et font voler en éclats le monde connu pour libérer le meilleur comme le pire.
Ce roman est profondément émouvant. Nous y trouvons une lignée de femmes, fortes, indépendantes, attachées à leur terre, prête à tout pour leurs racines et pour leurs convictions. Résilientes à l’excès, Emilienne et Blanche font partie de ces femmes taiseuses, avares de leurs mots, mais prolixes d’amour et de confiance. Elles savent donner mais non reprendre, elles savent partager et, trop souvent, s’échouent sur l’écueil de la malhonnêteté et de l’hypocrisie humaine. Blanche m’a véritablement touchée. Adolescente, elle se construit au creux d’une absence, dans l’ombre des arbres qui ont assisté aux amours de ses parents, mais aussi à sa propre enfance heureuse et pleine d’amour. Elle retrouve dans son Paradis un peu de ceux qu’elle a perdu, elle travaille dur pour faire perdurer l’héritage, pour épargner un petit frère brisé par le deuil, pour faire perdurer ce qui importe à ses yeux. Elle se livre entière à celui qu’elle aime, forte de ses certitudes. Plus tard, brisée mais non détruite, elle se reconstruit, se resserre autour de son essentiel, de son noyau dur. Ce qu’il y a de tragique dans ce personnage, c’est que chaque espoir qui la pousse à s’ouvrir se voit fauché en plein vol, et, avec un crescendo saisissant, son destin la mène chaque fois plus près de l’abîme, jusqu’au détail de trop. A ce moment-là, commence sa deuxième vie, sa quête de justice, sa vengeance, mais une vengeance assombrie du spectre de la folie. En effet, nous avons une héroïne qui arrive aux limites de ce qu’elle peut endurer et qui bascule vers l’innommable. Alors même que ses actions sont condamnables, je n’ai pas eu envie de lui jeter la pierre, et c’est le signe que Blanche a été toucher quelque chose au plus profond de moi. A la fois coupable et victime, elle suscite davantage la compassion que le rejet.
La structure du roman permet de ménager notre intérêt. Le début nous présente Blanche âgée, usée par les ans et les chagrins , avant de nous montrer une jeune femme lumineuse. La narration permet donc de nourrir les contrastes qui ont parsemé la vie de Blanche et permet aussi de nous faire ressentir d’autant plus cruellement ses errances et ses désillusions. Le destin s’acharne sur elle sans que le lecteur ne puisse voir venir le prochain coup. Nous sommes si attachés à elle que nous espérons sans cesse un instant de bonheur, et, inexorablement, la plume de l’autrice invite aussi des malheurs.
Les personnages secondaires sont intéressants. Louis fait un contre-point à Blanche, il est son pendant masculin, brisé lui aussi, mais pour d’autres raisons. Il est celui qui a réussi cahin-caha à se reconstruire et à vivre à peu près sereinement. Il fait d’ailleurs partie des possibles qui s’offraient à Blanche. La relation de Louis avec Emilienne est très émouvante aussi. Une complicité dure s’installe entre eux, nourrie par la force des choses, par un amour qui ne dit pas son nom, qui n’est pas un amour filial mais qui y ressemble. Finalement, ce roman est l’histoire d’amours déçues, des amours multiples, entachés par la souffrance, l’absence, le deuil, le renoncement, et c’est sans doute pour cela que le livre est aussi intimiste et aussi prenant. Il fait vibrer une corde sensible et va parler directement au cœur du lecteur.
Ainsi, Une Bête au paradis est une excellente lecture, aussi éprouvante que l’est la vie des personnages. Le roman met en scène des destins cruels, des souffrances que les mots seuls ne peuvent pas exprimer. Il donne à entendre des vies et des cœurs qui se brisent sous le poids d’un trop plein de douleur : tragique et magistral. J’ai adoré.