Les Démoniaques, Mattias Köping.

les démoniaques-2 A force d’entendre parler du Manufacturier en bien, j’ai eu envie de découvrir la plume de Mattias Köping, mais les avis dithyrambiques me font toujours un peu peur (la fameuse peur d’être déçue), alors je me suis tournée vers son roman précédent, pour me faire une idée. J’ai profité du confinement et de mes vacances pour le sortir de ma PAL : pas de baby sitting, plus de lecture et de cuisine!

       Les Démoniaques nous plonge dans la vie de Kimy, une jeune fille de tout juste dix-huit ans, au quotidien horrible. Violée dès l’adolescence, baignant dans le monde de la drogue, elle fera tout pour s’en sortir, mais à quel prix cela se fera?

      Soyons très francs immédiatement : ce thriller n’est pas à mettre entre toutes les mains. La violence est intrinsèquement liée à l’histoire, chaque page retentit de brutalité et de cruauté. L’auteur explore les bas-fonds et la noirceur de l’âme humaine sur presque quatre cent pages, et, à aucun moment un voile pudique ne recouvre les sombres réalités. Bien au contraire, le vocabulaire est cru, le verbe est incisif, la langue elle-même devient violence et se met au diapason de l’Ours, de l’Albanais et de tous les acteurs de la barbarie à laquelle nous assistons. Certaines scènes mettent très mal à l’aise : viol, viols en réunion, pédopornographie, esclavage sexuel, traite d’humain, meurtre… autant de sujets abjects qui se retrouvent ici et nous emportent, à l’instar de Kimy, au bord de l’abîme. L’Ours, le père de Kimy, est dealer, proxénète, à la tête d’un empire du sexe et de la drogue qu’il entend non seulement développer, mas préserver de toute rébellion, quitte à tuer tous les obstacles sur sa route. Ce personnage nous glace,  mais il est loin d’être le seul. La vieille Mauchrétien est tout aussi détestable dans sa haine des femmes, alors qu’elle-même en est une. A chacune de ses apparitions, le lecteur se demande comment elle peut cautionner tout ça. En parallèle, nous voyons aussi se dessiner un réel problème de société : parfois, le plus détestable personnage prend des allures de bon Samaritain, et sous le fonctionnaire affable peut se cacher un bourreau. C’est encore une fois l’idée de la banalité du Mal qui est explorée ici.

      Ce qui est évoqué fait frémir, révulse et prend aux tripes. Le sort que la vie  a réservé à Kimy (et que l’auteur lui a concocté!) est révoltant. Cette jeune femme est d’une rare résilience pourtant, et, contre vents et marées, elle encaisse tout pour rendre au centuple. Ce roman est aussi le récit d’une vengeance. Et c’est là que l’espoir affleure. Brisée, foulée aux pieds, elle se redresse, bombe le torse et avance. Dans son projet fou, elle rencontrera des alliés, improbables, mais importants, et finalement, deux êtres abîmés par la vie peuvent devenir bien plus dangereux que le criminel endurci. J’ai particulièrement aimé la manière dont l’auteur relie le destin de Kimy à celui d’Henri. Deux mondes qui s’opposent à première vue se trouvent, pour le meilleur et pour le pire.

      La langue crue aurait pu me faire arrêter de lire, étonnamment, ce n’est pas le cas ici. Les personnages dépeints, l’univers évoqué, les sévices vécus par certains des êtres de ce livre expliquent cet emploi et créent un effet de cohérence dans l’oeuvre. Cela donne quelque chose d’étrange : le lecteur est entraîné en avant, poussé à lire la suite, alors même que, plus d’une fois il lui faut relever la tête et aspirer une grande goulée d’air pour faire passer l’horreur. La fin m’a particulièrement saisie. A la manière d’un Zola, les personnages grandissent dans l’échelle sociale (du crime pour certains), avant de retomber. Cela crée une dynamique toute particulière qui m’a plu, mais qui n’épargne personne. Comme dans les tragédies, l’implacable mécanisme est lancé, et personne ne saurait arrêter sa course folle avant que le bain de sang ne soit arrivé à son terme.

     Les Démoniaques est donc une très bonne lecture, mais hautement éprouvante. Le cœur au bord des lèvres, nous sommes entraînés toujours plus avant dans des abîmes de violence et d’horreurs, soutenus par un fol espoir et par une lueur d’humanité, vacillante au cœur des ténèbres. 

 

 

 

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