Je lorgnais depuis un moment sur ce roman de Karine Giebel, et puis, des avis mitigés m’avaient découragée de l’acheter, du moins en grand format. Lorsque Babelio m’a proposé de le recevoir pour une masse critique privilégiée, j’ai sauté sur l’occasion et j’ai eu le plaisir d’être sélectionnée.
Toutes blessent, la dernière tue nous relate l’histoire de Tama, une fillette devenue esclave. Dès son plus jeune âge, elle est déracinée et envoyée en France où elle ne connaît que souffrance, malheur et servitude. Gabriel quant à lui est un homme étrange, un ermite que ses démons ne laissent pas en paix… jusqu’à ce qu’une femme amnésique fasse irruption chez lui.
Le premier constat s’impose de lui-même. Ce roman est addictif. Il est impossible de se détacher de l’histoire de Tama. Les parenthèses qu’offrent les chapitres consacrés à Gabriel sont presque importuns au début. Plus d’une fois je me suis demandé où cela allait mener, et le fil entre Tama et lui n’a rien d’évident. Lorsqu’il apparaît, il commence par nous induire en erreur d’ailleurs, avant de donner son plein potentiel. La manière de relier les deux histoires est vraiment savoureuse et efficace. Cela permet aussi de montrer d’autres facettes de la personnalité de Gabriel, de comprendre son drame personnel, et d’espérer pour lui des jours meilleurs.
L’histoire de Tama est donc la ligne directrice de de roman. Cette vie est terrible et désolante, poignante et désespérante. Sincèrement, il faut prendre une grande gorgée d’air et d’optimisme pour s’atteler à cette lecture. Plus d’un passage fait frémir, plus d’une de ses mésaventures vous arrache les entrailles, le cœur et des larmes. C’est dur, violent, d’une cruauté inouïe. Cette pauvre enfant ne se verra rien épargner. Les coups, le viol, la manipulation. Et finalement, c’est quand elle espère le plus, qu’elle croit avoir enfin vu le bout du chemin, qu’elle perd le plus. Ce n’est plus de l’ironie dramatique, c’est l’acharnement d’un destin cruel et aveugle.
D’autant que Tama n’a pas mérité cela. Du fond de sa souffrance, du fond de son placard, elle est animé d’un courage, d’une force et d’une résilience hors norme. C’est un beau personnage féminin, sans doute un peu naïf, mais à la densité humaine extraordinaire. J’ai espéré avec elle, je me suis désespérée avec elle, j’ai posé le livre, trop émue par une catastrophe s’abattant sur ses maigres épaules, j’ai pleuré pour elle, parce que parfois, c’est trop. Et c’est peut être là un de mes bémols : par moments, l’hybris, l’excès et la démesure affleurent. On n’épargne aucune injure à cette pauvre enfant, et ça fait trop. Trop pour mon petit cœur, trop pour ne pas basculer vers un aspect un peu malsain. Dans cette surenchère d’horreurs, le lecteur est plus d’une fois mal à l’aise, il détourne le regard, pose le livre, respire pour couper une lecture qui devient éprouvante, j’ai envie de dire : étouffante. Je sais que des esclaves des temps modernes existent encore, je soupçonne l’horreur de leur vie, oui, mais lire noir sur blanc autant de douleurs, de souffrances, de tortures reste terriblement éprouvant.
L’ensemble du récit est mené tambour battant, et cela fonctionne très bien. Il n’y a pas de temps mort, pas de pause. Tout a un sens, et trouve sa place dans l’économie d’ensemble. J’ai aimé découvrir Gabriel plus humain qu’il ne veut l’admettre, j’ai apprécié la représentation nuancée d’Izri, le révolté, le truand au bon fond, je n’ai eu d’autre choix que de détester Mejda et les Charendon, je me suis révoltée devant Greg… Les personnages ici font surgir mille et un sentiments : le dégoût, l’aversion, l’amour, le compassion, la pitié…. Il est impossible de ressortir indemne d’une telle lecture.
Enfin, je dirai juste que la chute du roman est émouvante. J’espérais autre chose, mais tout bien réfléchi, cela n’aurait pas été dans le fil de l’oeuvre. Cette fin est à la fois tragique et lumineuse. Dans le noir du désespoir et de la souffrance, une petite flamme semble s’allumer, distillant un espoir vacillant, un espoir arrivé trop tard pour certains, mais sans doute in extremis pour d’autres.
Ainsi, j’ai adoré ma lecture. Ce livre est dense, addictif et hautement émouvant. Par contre, il ne faut pas se leurrer, certaines pages sont très dérangeantes et mettent vraiment mal à l’aise. A ne pas mettre entre toutes les mains! Âmes sensibles s’abstenir.