Mudwoman, Joyce Carol Oates.

Mudwoman par Oates     Pour le bookclub de novembre, nous devions lire un roman de Joyce Carol Oates. J’ai choisi de sortir Mudwoman de ma pile à lire, sachant que c’est un roman que j’avais commencé il y a deux ou trois ans et que j’avais abandonné – ce qui est assez rare chez moi.

      Mudwoman raconte le parcours d’une jeune femme au passé lourd à porter. Abandonnée enfant, vouée à une mort certaine par sa mère, elle est finalement sauvée et adoptée par un couple aimant: les Neukirchen. L’enfant grandira et deviendra Meredith, M.R., jeune femme brillante, première présidente d’université. Mais les choses ne deviennent pas idylliques pour autant et bientôt, les fantômes du passé resurgissent et mettent à mal son quotidien.

      Étonnamment, je me suis très vite souvenue de la raison pour laquelle j’avais abandonné ce roman. Les premières pages sont d’une rare rudesse, pas tant dans le vocabulaire, que dans les scènes racontées ; des scènes que l’on peine à saisir pleinement car nous ne savons pas précisément de qui il est question, ni quels liens unissent les personnes. Il m’a donc fallu m’accrocher pour dépasser cette entrée en matière et découvrir Meredith, la femme qu’elle est devenue. Je ne regrette pas d’être parvenue au bout de ma lecture, cette fois-ci, mais pour autant, ce roman reste dérangeant pour moi.

      Joyce Carol Oates nous présente des destins brisés, des êtres malmenés par la vie, mais aussi des êtres mauvais ou à la gentillesse malsaine. Il y a donc beaucoup de détails qui titillent, parfois des éléments insoupçonnables d’ailleurs, et c’en est d’autant plus douloureux à lire. Le destin de Meredith enfant est bien entendu terrifiant, celui de sa sœur aussi et je ne m’appesantirai pas pour éviter de trop en dévoiler. La représentation de sa famille d’accueil, les Skedd, est truculente et terrible à la fois. Mais, en même temps, elle devient caricaturale par certains aspects. Les parents adoptifs de Meredith nous réjouissent par leur gentillesse et leur bonté… jusqu’à la révélation d’un détail qui m’a glacée d’effroi. Ce détail nous est livré à mi-parcours de l’oeuvre et bientôt, il prend tout son sens dans le destin chaotique de l’héroïne, jeune femme brillante mais sur laquelle repose tant d’espoirs et de non-dits. Finalement, tous les personnages de ce roman ont quelque chose de perturbant.

       L’autrice signe ici un portrait de femme particulièrement saisissant. L’héroïne ne peut pas nous laisser indifférent. Meredith est une jeune femme qui ne trouve pas pleinement sa place dans la société. Son apparence physique androgyne la gênait déjà adolescente, la complexe adulte, brillante à l’excès, bourreau de travail, elle détonne. Au fil de sa vie, elle semble n’avoir que peu d’amis, elle ne s’attache pas, se recroqueville tout en étant le plus chaleureuse possible avec ses collègues et collaborateurs. Puis, lentement, elle perd pied, des rencontres, des souvenirs, des mésaventures au travail la font plonger peu à peu. Elle se met à confondre cauchemars et réalité. Certaines scènes du roman sont particulièrement dérangeantes : des scènes de viols, des meurtres. Et pendant des dizaines de pages, nous sommes incapables nous aussi de discerner ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Cela rend l’atmosphère du livre poisseuse et collante comme la boue et laisse une impression désagréable et oppressante. Je ne dirais pas que Meredith est sympathique car ce n’est pas ce qui m’a frappée. Mais son destin est hors norme. Elle évolue dans une société profondément machiste, sexiste, où les hommes n’aiment pas vraiment être dépassés par les capacités intellectuelles d’une femme, et qui apprécient encore moins d’être dirigés par une femme. Elle se heurte à sa condition de femme, au regard de la société sur son corps, sur ses choix de vie, au conservatisme de ses collègues. Grâce à ce personnage et aux embûches qui se dressent devant elle, toute une réflexion sur la féminité et sur le sexisme innerve le roman, la question de l’ivg et des droits des femmes est également soulevée, sans pour autant être débattue car ce livre n’est pas un roman militant. Des questions brûlantes, bien sûr, et des situations qui malheureusement ne sont pas toutes rares. Il y a donc des éléments, des situations dans lesquelles nous pouvons nous identifier à Meredith.

      La construction du roman est singulière et entretient le trouble du lecteur. Les chapitres programmatiques m’ont un peu déroutée. Ils annoncent ce que contiendront les pages à venir, le ton est sec, et nous avons tendance à ne pas remettre en cause leur véracité, ce qui permet de nous emporter avec Meredith dans sa descente aux Enfers. Son cheminement à la lisière de la folie n’en est que plus saisissant et poignant. De plus, l’alternance entre le présent – la présidence de l’université et ses écueils-  et le passé Mudgirl puis de Mudwoman nous permet de saisir pleinement d’où vient cette femme, ce qui l’a façonnée ou cabossée… car de nombreux événements traumatiques ont jalonné son parcours et sont partie prenante de l’adulte qu’elle est devenue. J’ai bien aimé cette rythmique du récit. Je la trouve pleine de sens car elle permet de distiller les éléments et de leur donner leur pleine mesure. Par contre, certains tics d’expressions de Meredith se retrouvent dans la narration et m’ont exaspérée. Au bout de 150 pages, je ne cache pas que j’en avais assez de lire toutes les deux pages le mot « secret » entre parenthèses à chaque fois que l’héroïne évoquait son amant. Bien entendu, cela permet d’insister sur l’absence de lien durable, fort, construit et nourricier chez notre personnage, sur son isolement affectif aussi mais cela reste  assez pénible.

      Ainsi, Mudwoman est un récit déconcertant. Durant un long moment, j’ai cru ne pas l’aimer et finalement, une fois le livre refermé, je lui trouve une profondeur réelle, une brutalité certaine qui vient nous secouer dans notre confort et qui nous oblige à nous investir, à plonger dans ce destin complexe de femme, et à regarder en face une société qui n’est pas toujours belle à voir. C’est donc finalement une belle lecture, porteuse de sens, que je suis ravie d’avoir terminée. 

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