L’Archipel d’une autre vie, Andreï Makine.

Résultat de recherche d'images pour "l'archipel d'une autre vie babelio"      J’ai toujours un souvenir ému lorsque j’ouvre un roman d’Andréï Makine. Mes meilleures amies m’avaient offert Le Testament français pour mes dix-huit ans et je l’avais adoré. Du coup, cela fait partie de ces auteurs que j’affectionne même si je les lis peu et ouvrir une de leurs œuvres me fait l’effet d’une madeleine de Proust. Je suis tombée par hasard sur l’Archipel d’une autre vie, et je n’ai pas résisté.

       L’histoire se déroule aux confins de l’extrême Orient russe, sur des terres isolées des hommes, perdues et donc sources d’aventures et de brutalité. Pavel, l’homme que l’on poursuit, va finalement se raconter et raconter la course-poursuite qu’il a lui-même entreprise un jour.  Le roman nous raconte une chasse à l’homme, une fuite en avant qui révèle ce que recèle le cœur de chacun, le meilleur comme le pire, la soif de pouvoir et de reconnaissance comme l’accession au sublime.

        Ce roman est déroutant. Nous avons un récit enchâssé. Le narrateur prend en chasse un personnage étrange, se fait duper et piéger par sa proie. Puis, contre toute attente, cet homme qu’il pistait lui fait des confidences. Cette construction m’a un peu perdue au départ, parce que ma lecture était hachée (c’était mon roman spécial quart d’heure de lecture au travail), mais aussi parce que finalement, nous ne savions que peu de choses du narrateur initial. Du coup, pendant quelques pages, le narrateur et Pavel se sont mélangés dans mon esprit.

      Par contre, comme toujours, j’ai retrouvé avec bonheur la plume fluide d’Andréï Makine. Sa manière d’écrire a un charme rare, qui chez moi, fait mouche à chaque fois. Loin d’un style ampoulé, le verbe se fait évocateur, tantôt doux  pour montrer la tendresse, tantôt brutal pour donner à entendre la férocité de l’homme et de ses appétits, la violence des éléments, la cruauté et la sauvagerie. L’écriture fait donc pleinement sens et parle au cœur autant que les mots parlent à notre esprit. Cette plume est pour moi immersive. Elle m’a bercée et emportée au fond de la taïga avec les protagonistes, sur les bords d’un torrent, au coin de trois feux allumés. Nous touchons là une chose que j’adore en littérature : voir filer les pages entre nos doigts et être porté par la beauté simple et évidente d’une plume qui nous fait tout oublier.

     Les personnages dépeints sont montrés dans toute leur complexité, sans jugement explicite. Le lecteur se charge très vite de comprendre qui est sympathique et qui ne l’est pas. En effet, la course poursuite dans la taïga révèle aussi les hommes : ce qu’ils sont, leur nature profonde, leur grandeur ou leur misère. La nature devient comme un catalyseur, et notre Pavel, ainsi que notre narrateur qui écoute le récit, y puisent une grande leçon de sagesse.

      J’ai été émue par le fugitif, personne respectueuse qui essaie de survivre et d’échapper à ses poursuivants, mais qui ne commet aucun crime. C’est une figure forte et sauvage qui entre en osmose avec la nature… et qui, accessoirement fait tourner en bourrique des hommes plus que détestables. Alors qu’elle est la proie, elle garde une sérénité hors norme qui fait contrepoint à la violence des appétits de ses poursuivants.

       D’ailleurs, Louskass ou Ratinsky sont très vite identifiés comme des chefaillons avides de pouvoir et de reconnaissance. Dans une Russie soviétique, où dénonciation et goulags sont très présents, de tels compagnons de route sont un danger évident. Notre narrateur et d’autres en feront les frais. La violence et la cruauté de ses personnages glacent mais pour autant, elles ne paraissent ni outrées ni exagérées. C’est sans doute là ce qui les rend aussi glaçants et détestables. Je suis convaincue que de tels hommes ont existé et les appétits vulgaires qui les animent ne déparent malheureusement pas : absence d’empathie, mépris de la vie humaine, mensonge, rêve de gloire, rêve de reconnaissance de la part du régime, mépris de la femme qui n’est là que pour satisfaire des appétits bestiaux…

       A côté d’eux, se trouvent des personnages plus nuancés, encore en construction. Pavel est l’un de ceux qui évoluent le plus. Il chemine lentement et ses rêves d’héroïsme naïfs, son désir d’être admiré cèdent bientôt la place à une douloureuse prise de conscience : les dés sont pipés. Il lui faudra du temps pour l’accepter pleinement, pour en percevoir toutes les conséquences, mais c’est aussi ce qui sera, pour lui, salvateur. Il abandonnera ainsi le « pantin » en lui, comme il le nomme, et il pourra se réaliser pleinement, loin des contingences politiques.

      Ce roman est donc aussi un roman initiatique, dont le titre est programmatique : la nature y tient un rôle clef et, par la force des choses et des éléments, les personnages accèdent à leur vrai Moi. C’est aussi l’histoire d’une rencontre qui bouleversera une vie mais, encore et surtout, c’est, en filigrane, l’histoire d’un régime oppressif, des goulags, de la répression et de la peur qui poisse et qui empoisonne les relations humaines.

       L’Archipel d’une autre vie est donc une belle lecture : la langue sobre et fluide y contribue grandement. Nous suivons avec l’énergie du désespoir la fuite en avant d’hommes qui ignorent ce qu’ils trouveront au bout du chemin, que ce soit le sublime, le pardon et la tolérance ou au contraire la violence brute d’une humanité reniée.

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