Les âmes englouties, Susanne Jansson.

      J’adore le titre de ce roman, je lui trouve une poétique douce et glaçante que la couverture complète à merveille.

      Dans ce roman, nous suivons une jeune femme  nommée Nathalie Ström. Elle retourne dans sa région natale pour mener des expériences sur la tourbière, mais bientôt, des  événements dramatiques remuent un passé déjà douloureux. Les mystères du présent font écho à ceux des dernières décennies et fascinent Maya, une photographe de talent qui travaille avec la police. Chacun essaiera de résoudre le mystère tandis que Nathalie se bat avec ses propres fantômes.

         Ce roman est très agréable à lire : la plume est fluide et élégante, toute en simplicité. L’histoire nous est d’abord présentée par Alex puis par Nathalie, et peu à peu, nous reconstruisons leur histoire jusqu’au drame. Nathalie reste longtemps un mystère pour nous, comme elle l’est pour Maya, pour la police et pour Alex. Elle ne se livre que lentement, et lorsqu’elle le fait, son passé prend encore plus d’ampleur dans nos cœurs et nous touche encore plus. Si au début, elle peut nous sembler froide et désagréable, les révélations balayent tout cela et elle devient beaucoup plus sympathique. J’ai apprécié que l’autrice sache brouiller ainsi les pistes, nous amenant à suspecter une myriade de personnages parce qu’ils sont bourrus, étranges, farfelus ou juste parce qu’ils se cachent sans cesse derrière un masque. Cela lui permet de nous entraîner sur de fausses pistes pour mieux nous saisir lors de la révélation. En effet, je n’ai pas vu venir le coupable et je me suis trouvée surprise, même si j’aurais aimé peut être que ce soit amené de manière moins brutale, même si j’aurais aimé avoir plus de détails sur les raisons et le ressenti des personnages. Tel que c’est présenté dans le livre, je suis restée un peu sur ma faim, une fois le coupable annoncé parce que je n’ai eu que des bribes d’explications. Cela m’a laissé une impression de froideur, je n’ai pas senti vibrer l’humain sous le visage du meurtrier.

      J’ai beaucoup aimé le personnage de Göran : à la fois étrange, farfelu, inquiétant et protecteur, il est un mélange subtil qui nous dupe et nous entraîne dans les remous du passé et du présent. J’ai également apprécié Maya qui est très efficace en tant qu’enquêtrice, car finalement, elle mène tout autant (- si ce n’est plus!-) l’enquête que le policier en charge du dossier. Elle fait figure d’ovni dans l’oeuvre : photographe, curieuse invétérée, chargée de mission dans la police, elle parcourt le roman et creuse partout où elle le peut. Sa présence confère au livre une originalité propre qui est très agréable. Par contre, elle m’a vraiment agacée avec ses atermoiements amoureux, qui, pour le coup, n’apportent rien au livre, à mon sens. Maintenant, si c’est un personnage récurrent de l’autrice, je comprends que la petite histoire rejoigne la grande pour lui assurer un peu plus d’épaisseur et de densité humaine. Mais, comme c’est mon premier roman de Susanne Jansson, je ne saurais répondre à cette question.

      La tourbière est particulièrement importante dans ce roman. La plume de l’autrice se fait douce et poétique pour donner à voir et à entendre le lieu, l’art de la suggestion est d’ailleurs terriblement efficace. Loin d’être un simple décor, le lieu en lui-même devient un personnage clef. La présence de Maya, la photographe, et celle de Nathalie, la biologiste, permet de donner de l’épaisseur au lieu. Non seulement, il nous est décrit dans toute sa beauté ou dans toute son horreur, selon le moment, mais on nous donne aussi des informations très précises sur ses caractéristiques. La tourbière s’autonomise donc et, à la manière d’un spectre, plane sur le destin des vivants et des habitants, devient une menace sourde et diffuse,  un élément de construction identitaire, qu’il entraîne fascination, rejet ou adhésion. Ce lieu a donc un réel impact sur les vies de chacun, et, au fil des pages, il nous fascine aussi un peu car nous aimerions percer le mystère qui l’entoure et comprendre ce qui se trame dans cette campagne isolée.

      Enfin, ce que j’ai préféré dans le roman, c’est l’atmosphère. Elle est délicieusement inquiétante. L’autrice dépeint avec bonheur une tourbière aux contours flous, nimbée de brouillard et de mystère. Un lieu au passé immémorial, peuplé de légendes toutes plus glaçantes les unes que les autres. C’est un lieu violent qui se cache, qui tait son nom et vous attire sournoisement pour mieux vous happer et vous dévorer. Le plaisir vient du fait que cette tourbière est le croisement entre événements surnaturels et folie des hommes, car il est finalement bien difficile de déterminer qui est la victime de ce marécage puissant, qui est la victime des êtres humains et qui est seulement victime de lui-même, car bien souvent, plusieurs aspects s’entremêlent. La chute est alors particulièrement savoureuse. En quelques phrases, elle entretient cette hésitation entre monde rationnel et monde surnaturel, à l’instant même où notre côté cartésien allait s’apaiser, enfin rassuré. Ce jeu d’infléchissement m’a séduite car je ne l’attendais plus. J’ai donc refermé le livre dans un élan jubilatoire.

      Ainsi, je suis enchantée par ma lecture. Si tout ne m’a pas pleinement convaincue dans Les âmes englouties, j’ai malgré tout dévoré le roman en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et j’ai beaucoup aimé la chute et les révélations. 

 

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