Dossier 64, Jussi Adler-Olsen.

Dossier 64 par Adler-Olsen      Ce roman m’a été prêté il y a peu de temps et cela m’a permis de découvrir un auteur que je ne connaissais pas. Dans ce volet des enquêtes du Département V, une violente agression pousse les policiers à ressortir une cold case impliquant la disparition d’une prostituée… et bientôt d’autres disparitions sont mises en lien. De bien macabres découvertes attendent les enquêteurs entre les mystères de l’île de Sprogø, les médecins de l’époque, le destin brisé des uns et un certain Curt Wad aux idées fort inquiétantes.

      Tout d’abord, je suis forcée de reconnaître que j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce thriller. Les cent premières pages ont été laborieuses parce que je peinais à comprendre les liens entre les uns et les autres, les allusions aux tomes précédents étaient si subtiles que j’avais du mal à bien saisir ce qui s’était passé. Il faut dire, qu’une fois de plus, je n’ai pas commencé par le premier de la série…  Assad, l’assistant de Carl Mørk, m’agaçait avec l’air de benêt qu’il se donnait, Rose et ses attitudes mi-agressives mi-provocatrices me déconcertait et l’enquêteur principal Carl Mørk me semblait perdu dans les méandres de sa vie personnelle chaotique. J’ai donc eu très peur que cette lecture ne soit qu’un flop…

      Je me suis accrochée grâce au second fil qui irrigue l’histoire  : le personnage de Nete Rosen, de son nom de jeune fille Hermansen, y est terriblement touchant. Adolescente trop naïve, ne voyant le mal nulle part, elle a été  brisée par une société plus pressée à la condamner et à l’exploiter qu’à  la comprendre. C’est le récit d’une descente aux Enfers que nous suivons, une chute des plus cruelles et glaçantes, une chute au cours de laquelle toute humanité et toute liberté est foulée aux pieds.

      Au fil des pages, j’ai apprivoisé le destin tragique de Nete et j’ai désespéré avec elle. De fil en aiguille, j’ai apprivoisé les enquêteurs aussi, et bientôt, sans m’en rendre compte, ils m’étaient devenus plus familiers. Je peux dire désormais sans retenue que j’aime beaucoup le personnage de Rose, aussi atypique et détonnant que désespérant. Elle apporte un vent de fraîcheur à l’équipe. Assad, quant-à-lui, me semble particulièrement riche, très loin de la figure de benêt du début. Je sens qu’il cache encore quelques secrets qui me tiennent déjà en haleine. Enfin, Carl Mørk, le vice-commissaire me plaît bien, avec ses casseroles et ses démons, il est finalement très humain. Au terme de cette lecture, je suis donc conquise et en suis sans doute la première surprise!

      Vous l’aurez compris, le rythme de l’histoire est lent au début puisque l’auteur met en place toutes les mailles de son filet… et il y en a beaucoup! En effet, la toile tissée est vaste et parcourt presque cinquante années durant lesquelles monstres, bourreaux et victimes se sont croisés, recroisés, ont maquillé leurs traces pour les uns, enduré mille peines pour les autres. Les six cent pages de ce thriller ne sont pas de trop pour démêler cette inextricable pelote. Mention spéciale pour le renversement de situation de dernière minute que je n’avais pas vu venir! J’en reste encore stupéfaite, et pourtant, un micro-indice l’annonçait… De fait, l’auteur maîtrise à la perfection l’art du suspense et lorsqu’il passe d’un fil à l’autre de l’histoire, il s’arrête toujours à une jonction capitale, sans pour autant nous laisser un goût amer d’inachevé. 

      Enfin, ce roman a terriblement ému la femme que je suis. Il a le mérite d’aborder un sujet grave, un sujet éminemment important. Il évoque ces femmes internées de force, stérilisées de force parce qu’elles ne correspondaient pas à la norme puritaine, parce qu’elle étaient jugées moins intelligentes ou parce que les (mauvais) hasards de la vie s’étaient liguées contre elles et les avaient plongées dans des situations terribles. Nous touchons là du doigt quelque chose d’universel, la question du corps féminin, du droit des femmes à maîtriser leur corps, à faire leur propre choix en matière de maternité, à choisir leur sexualité aussi, droit qui leur a été contesté, droit qui leur est encore contesté par certains. Ce qui est contenu entre ces lignes est glaçant, d’autant plus que nous savons que ces politiques eugéniques ont existé, que ces médecins se prenant pour Dieu et choisissant qui accéderait à la maternité, ou non, ont existé. Bref, la femme que je suis ne peut que s’insurger et appeler désespérément de tous ses vœux à ce que ce genre de choses n’ait plus court, nulle part.

      Ainsi, j’ai adoré ma lecture. Dossier 64 sort du cadre du simple thriller, il aborde, en trame de fond, un sujet historique qui résonne bien cruellement à nos oreilles et qui redouble l’intérêt de l’oeuvre. Un thriller magistral où les fils ne se dénouent vraiment qu’à la toute fin et où le récit s’attaque à notre cœur et à nos tripes. 

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