Alabama 1963, Ludovic Manchette – Christian Niemiec.

Alabama 1963 est un roman qui me faisait de l’œil depuis un moment, je l’ai reçu en cadeau de Noël il y a quelques années déjà et il attendait patiemment son heure. Le moment est venu, et, vraiment, mon seul regret est de l’avoir tant fait attendre dans ma bibliothèque.

Ce roman se passe à Birmingham, dans l’Alabama en 1963. Le corps d’une fillette noire est retrouvé, la police ne s’en soucie pas outre mesure, et bientôt, d’autres fillettes disparaissent. Bud Larkin, détective privé – alcoolique et raciste- accepte d’enquêter pour le père de la première victime. Adela Cobb, femme de ménage noire, s’interroge sur ces disparitions. Ces deux êtres que tout oppose se retrouveront peut être sur certains points…

Ce roman se déploie sur deux thématiques, d’une part l’enquête policière, d’autre part le quotidien en Alabama en 1963, et les deux se rejoignent sans cesse. En effet, quotidien est mis en scène par le biais d’Adela, de ses amies et de toute la communauté noire de Birmingham. C’est un univers rude, empli de racisme et de défiance. Si vous avez aimé La Couleur des sentiments de Kathryn Stockett, vous retrouverez dans ce roman des choses qui vous plairons. Adela est une bonne, ses employeurs – exclusivement des femmes blanches nanties, la regardent de haut, méprisant leur bonne, condescendant à être aimable, et se montrant insultantes lorsqu’elles pensent se montrer gentilles. Le portrait dressé de la société de l’époque est acerbe. Sous les affronts, les injures et le mépris, nous découvrons le rire solaire d’Adela et de ses amies, les petites révoltes personnelles qui sont autant de cailloux semés pour dresser la tête sous les insultes. Chacun de ces petits faits est révoltant. Une multitude de détails m’a hérissée, et pourtant, c’est aussi véridique. Dans ce contexte, inutile de dire que la disparition, et la mort de fillettes noires n’agite pas trop la police. Ils enquêtent mollement, histoire de dire qu’ils ne sont pas inactifs, mais clairement, leurs priorités sont ailleurs. Au milieu de ces injustices quotidiennes, des petites étincelles illuminent le chemin : Gloria, l’une des patronnes d’Adela est aussi fantasque que touchante, de même que Madeline et sa cousine Shirley Ackerman. Tout cela permet de nuancer : les temps changent, l’intolérance est encore bien vivace, mais des lueurs d’espoir apparaissent. Cela permet de dresser un tableau tout en nuance, sans cacher l’horrible et le révoltant pour autant.

Dans ce roman, les personnages sont attachants. Ils ont tous une humanité terrible – dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi de plus immonde. Adela est la femme qu’on a obligé à ployer sans cesse et qui peu à peu redresse la tête et affirme ses propres droits. Elle incarne la lutte, la bonté aussi et l’aspiration à un meilleur avenir pour les siens, empreints de justice. Ses amies sont hautes en couleurs et apportent ce qu’il faut de bonne humeur et de drames silencieux. Lazarus, le beau-frère d’Adela, est un personnage ambivalent. Autant, certains passages le rendent presque sympathique, autant d’autres font cristalliser un homme détestable. Je vous laisse voir par vous-même l’impression qui domine à la lecture. Bud, le détective, et les policiers Walt et Edwin sont eux aussi ambigus : leurs petites bassesses, leur racisme les rend détestables… mais pas seulement. En effet, Bud ne se réduit pas à son alcoolisme ou à son racisme. A travers les pages, nous le voyons évoluer, changer, nous comprenons les failles béantes qui l’ont précipité dans l’alcoolisme, et ce qui a accéléré sa déchéance professionnelle. Difficile de ne pas être ému par son parcours et surtout de ne pas compâtir avec l’homme – qui a lui aussi souffert plus souvent qu’à son tour. Dans sa quête de justice pour trouver l’assassin des fillettes noires, il trouve aussi sa vérité et l’ensemble de la communauté prendra conscience de ce qu’il était vraiment. Ainsi, le roman propose des quêtes initiatiques multiples : celle d’Adela, celle de Bud, celle d’une société qui devra se défaire de ses préjugés pour avancer.

Le rythme du récit nous emporte, sans temps mort. Il n’y a ni hâte excessive ni lenteur préjudiciable. L’économie d’ensemble du roman est parfaitement dosée pour offrir un excellent moment de lecture. Les pages ont défilé sans que je ne m’en aperçoive. J’ai été véritablement happée par l’histoire qui se jouait sous mes yeux.

Ainsi, j’ai eu un véritable coup de cœur pour Alabama 1963. Le roman est dense de matière humaine : le sublime côtoie la misère humaine et les turpitudes. L’œuvre se fait le reflet d’une époque douloureuse, marquée par les injustices, par le racisme et la haine, mais plante aussi des graines d’espoir qui permettent d’illuminer la route des personnages. Une très belle lecture dont on se délecte.

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