
En ce début d’année, et après un mois de coupure livresque suite à la naissance de mon petit garçon, j’ai eu la chance de découvrir en avant première le nouveau roman d’Isabelle Villain. Double nouveauté pour moi puisque je ne connaissais pas cette autrice : il y avait de quoi me tenter, et je n’ai pas boudé mon plaisir !
Jean-Luc Provost, entraîneur de gymnastique français trouve la mort dans un accident de voiture, si le suicide est vite écarté, l’enquête est particulièrement sensible : les JO de 2024 approchent, des médailles d’or sont en jeu, la carrière de gymnastes qui s’entraînent depuis leur plus jeune âge également, les sacrifices consentis par la famille de ces jeunes exerçant une pression supplémentaire. Alors, qui avait intérêt à voir Jean-Luc Provos disparaître, et pourquoi? L’enquête est confiée à Rebecca et au groupe de Lost.
Le premier constat à faire, c’est que ce roman se lit très bien. Preuve s’il en est, je l’ai dévoré en quelques jours, alors même que mon bébé n’a qu’un mois et demi, et qu’il est très souvent dans mes bras pour être bercé ou pour faire la sieste. Le récit est prenant et l’histoire est fluide. Nous sommes vite happés par l’intrigue et nous avons envie de savoir ce qui s’est réellement passé. Dans ce thriller, il n’y a ni complexité superflue, ni élément trop évident. C’est un savant équilibre : ni trop simple, ni trop compliqué, mais un récit plausible, vif et enlevé. Le lecteur suit avec intérêt les rebondissements, les impasses et les faux départs des enquêteurs. Comme eux, nous séchons un peu : à aucun moment je n’ai suspecté le coupable. Il faut dire que dans ce livre, il est très difficile de trouver qui aurait un mobile… du moins dans la première moitié ! Après cela, le mobile est évident, mais la figure de l’assassin reste floue car le huis clos de la team Provost -élargie aux familles des athlètes- laisse pantois : tous ont beaucoup à perdre et peu à gagner dans cette affaire… Qui peut bien être à l’origine de tout cela? Tout cela donne une intrigue bien ficelée, qui tient ses promesses. J’ai vraiment aimé me laisser bercer moi aussi et assister en spectatrice à cette enquête. Je suis convaincue que l’identité de l’assassin est difficile à mettre au jour avant les enquêteurs, les indices disséminés étant trop minces pour que nous puissions tirer de solides conclusions.
L’écriture de ce thriller a aussi un petit quelque chose d’agréable et de singulier. Nous sommes immergés dans le monde du sport, de la gymnastique et nous sentons la précision des termes et des situations. Mais il n’y a pas que cela. L’écriture colle au monde évoqué : nous sommes en pleine préparation des JO, la France a les yeux braqués sur les athlètes et sur cet entraîneur aux méthodes éprouvées, tous les espoirs reposent sur eux… et la plume d’Isabelle Villain sait donner un souffle journalistique au récit : des phrases nominales nombreuses, cinglantes, percutantes, qui viennent dire la stupeur et l’atterrement de tous, qui miment la violence des révélations, le séisme que représente ces faits pour le monde du sport et pour les athlètes et leur famille. Cela rend le texte vivant et vibrant et joue certainement dans la réception qu’en a le lecteur. Le récit entier, bien que fiction, se pare des atours du fait divers, sensationnel, défrayant la chronique, éveillant passions et attirant les badauds. La plume offre donc un souffle certain à l’histoire et nous maintient en haleine. En lisant, j’ai d’ailleurs pensé inévitablement aux reportages que j’avais pu voir à l’occasion de JO antérieurs, à la passion des journalistes pour Philippe Lucas et pour Laure Manaudou, aux caméras braquées sur les entraînements et sur les espoirs de médailles. Isabelle Villain tisse patiemment le lien avec le faits divers et installe son texte dans le réel en mentionnant d’ailleurs des athlètes existants et des coach réels. Cela crée un solide ancrage dans le monde d’aujourd’hui. Peut-être que dans plusieurs décennies cet ancrage desservira la réception du livre, mais pour le moment, c’est loin d’être le cas.
Pour autant, j’ai quelques réserves à émettre aussi. L’écriture aussi journalistique soit-elle ne m’a pas toujours pleinement convaincue. Sur certaines parties, l’accumulation de cette technique d’écriture m’a parue moins percutante parce que trop présente justement. Et c’est avec plaisir que j’ai savouré les autres musiques que la plume laisse entendre. En effet, le style se fait par moment plus intimiste, surtout pour parler des enquêteurs, de leurs liens, de leur vie privée et professionnelle. Cela permet de créer des phases qui scandent la lecture et évitent aussi la lassitude. Enfin, les rappels sur le groupe Lost, sa formation et les personnalités qui le composent étaient parfaits étant donné que je n’avais lu aucun roman d’Isabelle Villain, mais ces rappels interviennent plusieurs fois dans le récit, et il y a un petit côté redondant qui m’a pesé parfois. Mon bémol n’est donc pas énorme, loin de là, et cela n’enlève rien aux autres qualités du récit.
Pour ce qui est des personnages, j’ai beaucoup aimé que le chef d’équipe soit une femme à la fois solide et faillible. Il y a aussi un bel équilibre entre la vie privée des enquêteurs – qui les humanisent- et l’enquête. Ici, les êtres éprouvent des sentiments, manquent parfois de lucidité, se laissent duper, refusent de croire les choses, mais avancent. Il y a de petits conflits, de grands agacements et du soutien mutuel. Rebecca est une figure attachante, comme Mélina qui m’intrigue beaucoup et l’énigmatique Cyril. Je ne dirai pas que j’ai adoré tel ou tel personnage car ce n’est pas exact, je ne les connais pas assez pour m’y attacher viscéralement, mais je les ai tous trouvés intéressants et efficaces dans l’économie d’ensemble du roman. Je serai ravie de les retrouver dans un autre volume pour mieux les découvrir.
Une fois que nous avons refermé le livre, il faut constater qu’il y a quelque chose de classique -pour ainsi dire – dans l’enquête et le dénouement, mais je crois qu’au vu de la trame de l’histoire, c’était inévitable. D’ailleurs « classique » ne veut pas du tout dire désagréable, loin de là. La thématique des JO, du monde du sport et du huis-clos entre athlètes, familles et entraîneur impliquait des passages attendus que nous retrouvons donc et qui sont très bien menés.
Ainsi, De l’or et des larmes est un thriller très prenant. Une fois entamé, le lecteur est emporté dans une intrigue qui interpelle, qui a un goût de réalité et de scandale. L’écriture sait se mettre au diapason du thème du livre pour créer une unité savoureuse et piquante. Sur fond de sport, de sacrifices et de travail acharné, les turpitudes humaines réapparaissent, la résilience et ses limites, la vengeance et la colère également, créant un cocktail efficace. Ce thriller ne révolutionne peut-être pas le genre, mais il apporte beaucoup de plaisir au lecteur, et ça, c’est essentiel ! Je lirai les autres romans d’Isabelle Villain avec grand plaisir.