La Valse des tulipes, Ibon Martin.

Mon rythme de lecture est légèrement plus lent que d’habitude, alors je savoure mes petits plaisirs livresques et j’attaque sérieusement ma pile à lire chez Actes Noirs / Actes Sud. J’ai jeté mon dévolu sur La Valse des tulipes qui m’a été offert il y a peu. Je ne connaissais pas l’auteur, mais a priori, il s’agit ici du premier de ses romans traduit en français. De quoi s’offrir quelques heures de découvertes inédites!

Le récit se déroule dans le Pays Basque espagnol, dans l’estuaire d’Urdaibai pour être exact, un espace magnifique comprenant falaises heurtées par les flots et marécages; mais la quiétude des lieux est troublée par des assassinats de femmes d’une cinquantaine d’années. Une nouvelle unité est créée pour faire élucider ces meurtres, Ane Cestero, une jeune enquêtrice en est la cheffe. Qui est donc ce meurtrier qui signe ses crimes d’une tulipe rouge? Qu’ont donc fait ces femmes pour êtres ciblées par ce criminel, la mention de leur séjour à Lourdes reste bien trop énigmatique pour expliquer les choses…

Ce roman parvient tout d’abord à nous dépayser en ayant recours aux termes précis en basque. Cela demande une petite gymnastique de l’esprit au début, puis l’habitude, alliée au glossaire, nous permettent de nager comme un poisson dans l’eau dans ces courants nouveaux. J’ai beaucoup aimé garder cette authenticité de la langue qui permet de camper aussi les personnages par la parole et par le terroir. Ainsi, la langue vient compléter les descriptions des lieux, des falaises, de la mer et de ses particularités. Cela donne à entendre un lieu unique.

Le roman se lit très bien. La structure d’ensemble est efficace. Nous avons là une véritable enquête, les meurtres apparaissent l’un après l’autre, des suspects sont envisagés, rayés de la liste, des éléments nouveaux sont étudiés, obligent les gendarmes à se déplacer, à s’interroger. Il y a donc des erreurs et des errances qui permettent au lecteur de sentir le désarroi des hommes mais aussi la difficulté à résoudre des crimes dont on ne comprend pas le motif. Cela s’enrichit puisque, en trame de fond, les vicissitudes humaines viennent parsemer les choses d’un zeste de conflits. L’unité spéciale créée sur mesure pour répondre aux besoins de cette enquête avive les tensions au sein même des enquêteurs : un commissaire mis à l’écart et suspecté, ses écarts révélés, des agents de même grade jaloux de ne pas avoir le commandement, une jeune femme dévorée par ses propres démons qui parfois se montre trop impulsive… Cela donne un groupe à la fois efficace et chaotique car nous ignorons longtemps si tous opèrent dans le même but, si certains ne renâclent pas un peu pour prendre le pouvoir ou ne se laissent pas déborder par leurs émotions. Ane Cestero est elle-même en butte avec sa famille et notamment son père, Julia une de ses collègues voit le retour de son ex compagnon, et s’interroge sur sa vie et les choix qu’elle a faits. Tous ces éléments donnent une dynamique très humaine au roman, car tout professionnel que nous sommes, nous ne pouvons pas couper notre humanité de notre travail et forcément, notre travail peut être parasité par nos émotions et par des choses totalement extérieures. J’ai trouvé les figures d’enquêteur intéressantes pour la part belle est faite aux femmes (et pour leur talent!) et pour leur humanité parfois tissée de contradictions.

Le récit en lui-même est vraiment intéressant. Nous alternons deux temporalités, ce qui est maintenant très classique : un récit placé en italique, qui se déroule longtemps avant les faits, et nos meurtres actuels. Jusqu’à la fin, je n’ai pas réussi à déceler qui était le coupable. Enfin, j’y étais presque, mais l’auteur nous aiguille habilement sur des fausses pistes. J’ai particulièrement aimé la figure de l’assassin, à la fois détestable par les crimes commis et terriblement humain, puisqu’au fond, ce sont ses propres fêlures qui l’ont entraîné sur la voie du crime. Il est monstrueux sans être totalement inhumain, ce qui est une gageure à mon sens.

Le lien entre les victimes est bien trouvé. Il met du temps à se dévoiler, mais une fois mis au jour par les enquêteurs, il fait sens, bien que l’on ne sache pas tout de suite ce qui pousse l’assassin à cibler ces femmes. Je dois avouer par contre que les enquêteurs sont un peu longs à la détente pour comprendre ce qui a bien pu arriver à ces femmes durant leur « séjour à Lourdes »… J’avais compris bien avant eux de quoi il retournait tant cela m’a semblé évident, surtout si on se rapporte à l’époque où les faits se sont déroulés. Bref, c’est un élément qui n’est sans doute pas surprenant dans le récit mais qui apporte du sel à l’histoire en ajoutant un drame humain aux crimes commis.

Ainsi, la Valse des tulipes est une très bonne lecture. J’ai beaucoup aimé suivre les méandres de l’enquête, découvrir des enquêteurs ni parfaits ni mauvais, juste humains, et suivre une affaire qui mêle passé et présent en un imbroglio de sentiments, de souffrances et de frustrations. Cela donne un roman au matériau très humain et au suspense bien marqué.

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