Amour entre adultes, Anna Ekberg.

Amour entre adultes par Ekberg       Quand on m’a proposé ce polar en masse critique privilégiée, j’ai eu un peu peur. La couverture a un petit côté années 60, photographie vieillie, et  elle m’intriguait autant que le titre me faisait redouter un roman mièvre sur un amour malheureux ou sulfureux. Bref, je craignais une oeuvre de chick’litt (genre que je n’affectionne pas du tout). Un petit tour sur Babelio m’a appris que c’était un thriller, alors la curiosité a pris le pas sur les craintes, et j’ai eu la grande chance d’être retenue. 

      Amour entre adultes nous offre la promesse d’un polar bien sombre. Christian attend sa femme, Léonora. Il s’apprête à la tuer : oubliés les vingts ans d’amour et de vie commune! C’est désormais une ennemie à abattre. Tout l’enjeu est de savoir ce qui les a amenés à ce point de non retour, et ce qui arrivera après cette scène.

        Pour commencer, j’ai été agréablement surprise parce que toutes mes craintes liées au titre ou à la couverture étaient infondées. Ne nous méprenons pas, la sexualité est présente dans le roman et n’est pas forcément cachée d’un voile pudique, mais c’est assez fréquent dans les polars pour ne pas être gênant. Le récit, quant à lui,  nous tient en haleine et mêle des éléments que j’aime : le thriller, l’enquête et le plaisir d’une cold case que l’on essaie d’élucider, à la manière d’un puzzle, en ré-assemblant les éléments que nous détenons déjà. La narration s’en trouve enrichie d’une dimension rétrospective : Holger, un vieux policier, raconte cette histoire à sa fille et nous plonge – par son récit- dans le quotidien de Léonora et de Christian. Étonnamment, j’ai lu peu de romans qui suivent cette structure et je trouve que cela lui confère un charme tout particulier. Nous savons que Christian veut tuer sa femme, qu’il essaie de l’écraser, nous savons que cela se finira de manière violente. Reste à comprendre le cheminement. Finalement, ce sont plus les méandres de l’esprit humain et ses réactions imprévisibles qui nous happent, que l’envie de savoir qui a tué, puisque nous le savons dès le début. A cela s’ajoute un vrai art du rebondissement : l’autrice arrive encore et toujours à nous surprendre et à nous retirer ce que nous tenions pour acquis. Le roman nous entraîne donc sur des fausses pistes, négocie des virages à 90 degrés sous nos yeux incrédules.

        Le thème de fond m’a parlé. Le couple et son évolution, l’amour et sa fuite, ce que l’être humain est prêt à faire par amour (ou désamour!). Le maillage de ces éléments est complexe, précis et permet de mettre en place un filet cruel autour des personnages. Une fois le mécanisme enclenché, plus rien ne peut arrêter la tornade dévastatrice des sentiments. Au fil des pages, nous voyons la révolte sourdre, la folie s’emparer des esprits, ravager une famille, renverser morale et codes sociaux. Nous voyons les êtres s’avilir ou au contraire se dresser, drapés dans leur superbe pour affronter – avec l’orgueil et l’excès d’un personnage de tragédie – le destin qu’ils estiment injuste. Ce roman retrace avec une acuité étonnante la douleur incommensurable de la trahison, le monde qui s’écroule, la lutte pour rester soi, la capitulation aussi. Et au milieu d’un récit que l’on pourrait croire joué d’avance, l’autrice nous ménage une fin d’une cruauté sans borne, savoureuse par certains aspects, mais surtout glaçante et dérangeante. Cette chute, d’ailleurs, aurait normalement tout pour me déplaire et me laisser sur ma faim, or, de manière paradoxale, elle m’a stupéfaite et convaincue. Les personnages y sont pour beaucoup, à n’en pas douter.

       Le rythme enlevé du récit, l’implacable mécanique et l’issue sont donc sous-tendues par des personnages denses. Léonora est d’une grande complexité. Femme au foyer soumise, elle est aussi une redoutable adversaire, froide, implacable, calculatrice, et la lectrice que je suis a jubilé en lisant quelques unes de ses répliques bien senties. Elle est une femme forte, courageuse à l’excès, orgueilleuse aussi, de cet orgueil blessé de ceux qui ont déjà trop perdu et trop souffert. Un orgueil démesuré malgré tout qui la mène elle aussi sur des pentes dangereuses et peu morales. Son époux, Christian, est un contrepoint intéressant. Autant le dire tout de suite, sa lâcheté, sa fuite, sa bassesse, tout me l’a rendu haïssable ; mais je crois sincèrement qu’il fallait un tel mari pour que le personnage féminin puisse déployer tout son potentiel dramatique. L’opposition des deux, leur caractère entier, leurs atermoiements et leurs excès étaient nécessaires car cette relation constitue le nœud du récit. Un noyau si intense, si concentré que jamais le texte ne s’essouffle. Chapeau bas!  Il y a ici une réelle originalité dans la manière de traiter l’éclatement du couple, la ruine de la vie commune, la reconstruction, le crime.

      Que dire de la plume? Peu de choses, sinon qu’elle est très agréable. Les pages fondent comme neige au soleil. La lecture ne butte pas sur des formules, sur des longueurs. La langage cru – lorsqu’il est utilisé- s’explique par la situation, si bien que nous n’en sommes pas spécialement dérangés. Rien n’est édulcoré : fureur de la trahison, confusion des sentiments, acuité de la souffrance, cruauté de la vengeance. Tout est là, millimétré, attendant son heure pour surgir entre deux pages et nous assaillir, nous lecteur, comme les personnages sont assaillis.

       Ainsi, ne vous laissez pas endormir par le titre ou la couverture, Amour entre adultes nous emporte dans un tourbillon : folie, amour, haine… et nous prouve que la frontière entre les trois est bien mince. Le suspense ne faiblit pas un instant et nous refermons le livre effarés de ce récit et surpris d’être arrivés si tôt à la fin du voyage. En résumé : une jolie découverte aux saveurs éclatantes. J’ai adoré et ce ne sera pas mon seul livre de cette autrice. 

 

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