
Ce nouvel opus des enquêtes de Washington Poe, je les attendais impatiemment. J’ai mis un peu de temps à le lire, absorbée par le quotidien avec deux enfants, et encore plus à la chroniquer, pour les mêmes raisons, mais quel plaisir de retrouver Poe et Tilly!
L’enquête qui se profile dans ce tome est des plus singulières, un assemblage de faits détonants, de décisions obscures en apparence, des choix mystérieux qui s’avèrent être en vérité lourds de sens car rien n’est laissé au hasard: un ancien braquage d’une audace folle se soldant par un butin inexistant, un pilote d’hélicoptère, ancien héros de guerre assassiné avec sauvagerie en marge d’un sommet international, et une affaire que les services secrets confient à Washington Poe et à Tilly Bradshaw… autant de mystères à percer et de zones d’ombres à éclaircir.
Retrouver le duo Tilly / Poe est toujours un immense bonheur. C’est un peu comme retrouver de vieux amis dont les bizarreries nous amusent, dont les compétences nous étonnent et qui nous permettent de passer de savoureux moments. J’aime leur complicité et leur complémentarité, j’aime la façon dont Poe veille sur Tilly qui le lui rend bien, avec la maladresse qui la caractérise dans les échanges humains. J’aime leur duo haut en couleurs, source de dialogues truculents, de plaisanteries, de douceurs, de petites piques amicales, car ce qui innerve les pages et leur relations, c’est aussi une loyauté, un soutien, une amitié indéfectibles. C’est l’humanité dans ce qu’elle a de beau. L’auteur réussit parfaitement à faire exister et à faire vivre dans nos cœurs ce duo.
L’enquête qui les attend est tortueuse. Tout est fait de chausses- trappes, de faux semblants, de jeux de miroirs qui envoient sur une fausse piste pour mieux nous ramener à la vérité profonde. Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs personnages jouent un double jeu. Sous des apparences aidantes et bienveillantes peut se terrer un ennemi prêt à faire obstacle ; ou au contraire, sous des dehors hostiles peut se cacher un allié qui cherche à aiguiller et aiguillonner, sans en avoir l’air. M. W. Craven a le talent de faire exister pleinement ses personnages. Le lecteur n’a pas de mal à les imaginer, à se les représenter et leurs mille et une facettes se déploient lentement au fil du roman et leur conférent une belle part d’humanité.
Les rebondissements sont des plus satisfaisants pour le lecteur : il n’y a pas de grosses ficelles ou de facilités, nous avons un écheveau patiemment tissé, une pelote inextricable qui nécessite temps et patience pour mettre au jour le secret caché en son sein… et quel secret! J’ai été surprise par les révélations. Je n’avais absolument pas soupçonné les coupables. La complexité de cette enquête est liée à sa nature même : elle puise ses sources dans des événements anciens, dépasse les frontières de la Cumbria ou du pays ; les motivations des coupables sont profondes, leur mise en œuvre est implacable, machiavélique et absolument terrible. J’ai apprécié en revanche l’humanité des coupables. Si leurs actes sont impardonnables, ils ont eux aussi souffert et ne sont pas monolithiques.
Comme dans tous les opus, la petite histoire rejoint l’enquête générale : j’ai apprécié avoir des nouvelles de Stephanie Flynn, j’ai été captivée par les déboires judiciaires de Poe concernant sa bergerie et j’aime la façon dont se sont soldés les événements. J’aime les bons mots, les plaisanteries, j’aime l’atmosphère tissée par l’auteur dans cette lande isolée, mais aussi au sein des équipes d’enquêteurs, j’aime le caractère rétif, obstiné et déterminé de Poe, j’aime le décalage de Tilly et sa franchise déconcertante.
Vous l’aurez compris, j’ai tout aimé de ce roman. Comme à chaque fois, l’auteur arrive à proposer un tome original, différent, étonnant et savoureux, en conservant la cohérence de ses personnages tout en approfondissant les liens. Tout y est : enquête résistante, rebondissements, suspense, révélations étonnantes, humour avec parcimonie et beaucoup d’humanité. Un régal.