Du thé pour les fantômes, Chris Vuklisevic.

L’objet livre m’a totalement séduite dans ce cas précis et a servi de première entrée dans l’univers. La couverture parle à mon imaginaire, le jaspage crée une belle unité et le titre m’invite au voyage. Je ne l’ai pas laissé dormir longtemps dans ma pile à lire. Je l’ai lu en même temps que Clémence, enfin, je l’ai commencé avec elle, puis je l’ai mis en pause. Vous trouverez son avis ici.

Du thé pour les fantômes est difficile à résumer : c’est une quête de soi, une quête de ses origines, c’est aussi le récit de deux soeurs qui se déchirent, qui s’apprivoisent, des soeurs que tout semble opposer. C’est l’histoire d’un monde au bords diffus dans lequel les spectres sont là, dans lequel certain(e)s sont passeurs de fantômes, dans lequel le thé peut avoir des propriétés magiques, dans lequel les êtres peuvent être plus que des êtres de chair et de sang.

Ce roman est étrange à plus d’un titre. La plume tout d’abord est à la fois poétique, chantante et parfois étonnamment dérangeante. Certains passages m’ont mise mal à l’aise, et pourtant, j’ai le coeur et l’estomac bien accrochés. Hormones de grossesse, me direz-vous, puisque j’ai commencé la lecture enceinte de 8 mois. Peut-être. Mais pas que. Je suis intimement convaincue que cette plume-là est chantante, et que sous les mots se déploie une magie souterraine, qui vient remuer quelque chose chez chaque lecteur. L’effet produit sur vous? Impossible de le prédire. Je sais que j’étais à la fois fascinée et rebutée, j’avais envie de poursuivre et j’avais à la fois envie de ne pas aller plus loin, envahie par une sensation sourde en plein coeur. J’ai préféré faire une pause dans la lecture, et c’est pour le mieux. Je l’ai fini en une après-midi, le coeur plus léger.

Dans ce récit, la relation entre Félicité et Egonia est terrible. Nous sommes sur une rivalité tissée d’envie et de non dits. Une construction biaisée dès l’enfance par un rapport à la mère conflictuel. L’image de la mère ici est également évanescente : mère aimante, mère brutale, mère tempête, mère mystère, mères multiples réunies en une seule femme. Une énigme malaisante qui a causé des dégâts. Les jumelles Félicité et Egonia sont comme Janus, deux face d’une même histoire, deux mondes opposés mais que tout rassemble sans le montrer. Il y a de la magie là dedans et une dose de souffrance incommensurable. Chacune à sa façon a dû chercher sa place.

Egonia est celle que nous adorons détester au début: sa figure de sorcière est si bien ciselée qu’il faut beaucoup de temps pour voir la carapace se fissurer et pour comprendre. Dans le dernier tiers, elle devient attachante, touchante, je l’ai bien sincèrement plaint. Félicité avec son assurance, sa morgue devient parfois agaçante, jusqu’à ce qu’on comprenne aussi les mouvement souterrains qui ont conduit à cela.

La quête qu’elles mènent à travers les villages endormis, les châteaux oubliés, les oasis improbables leur permettent de comprendre qui elles sont vraiment et d’où elles viennent. Comprenant leurs racines, elles comprennent aussi les fêlures de cette mère et peu à peu, les multiples facettes de leur mère se réunissent pour former le tout : une femme qui a eu une enfance et une vie finalement peu enviable, une femme au destin hors norme, une femme qui – comme ses filles – s’est débattue avec ses démons.

Ce dernier tiers de roman m’a émue et a réconcilié la lectrice mal à l’aise avec le récit. Tout s’est éclairé et j’ai pu savourer la construction : la narration étonnante, les personnages hauts en couleurs, les anecdotes grinçantes, les passages terribles et les petits bonheurs qui se sont ensemencés seuls comme des fleurs sauvages.

Ainsi, ce roman est inclassable : poétique, dérangeant, malaisant parfois, il donne à entendre de multiples vies réunies en une seule, des drames familiaux, des souffrances, des deuils de soi et des autres, il montre une quête initiatique qui se termine, des renconciliations, une forme de rédemption. Une lecture haute en émotions, qui ne laisse pas indifférent, que l’on aime ou que l’on soit rebuté.

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