
Ce roman est plutôt en dehors de mes lectures habituelles, mais il m’a intriguée. Un récit centré autour de femmes, l’ouverture d’un grand magasin, il y avait un petit air du Bonheur des Dames que j’aime tant et j’ai eu envie de voir comment l’autrice pouvait se ressaisir de ce topos et en faire quelque chose d’autre.
Les Demoiselles d’Oxford Street déploie une intrigue se déroulant en 1912, lors de l’ouverture d’un grand magasin, le Harper’s. Quatre jeunes filles se portent candidates puis travaillent ensembles : Sally, Beth, Maggie et Rachel. Chacune mue par une histoire différente saisit sa chance de commencer une nouvelle vie, et le lecteur les voit évoluer, entre joies, espoirs, peines de coeurs et tracas du quotidien.
Autant le dire tout de suite, pour le lecteur qui a bien en tête Le Bonheur des Dames, de Zola, vous retrouverez des thèmes communs : les petites jeunes peu ou pas expérimentées découvrant les rouages d’un grand magasin, les supérieurs tantôt bienveillants tantôt d’une rigidité confinant à la méchanceté, les mille et une épreuves de la vie. Vous retrouverez aussi le quotidien des femmes du début du XXe siècle : les robes de soie comme uniforme, les règles de bienséances, les difficultés quand on est femme dans une société régie par le mariage et le regard des hommes sur la moralité de ces dames. Pour autant, nous n’avons pas là une réécriture du classique de Zola. Le ton est résolument moderne, léger, agréable. Un vent de fraîcheur passe entre ces pages et nous pousse toujours plus avant, un vent de modernité, d’amitié, de sororité, osons le mot. Il n’y a pas de pessimisme social et cela en fait une lecture réjouissante, par delà les épreuves traversées par nos quatre jeunes filles.
La galerie de personnages est intéressante dans ce roman. Nos quatre héroïnes ont toutes des profils différents : la demoiselle veuve désargentée, la jeune fille isolée- sans famille et sans ressource, celle accueillie par une parente, celle qui essaie d’aider sa famille. Toutes découvrent un monde devant elle : les règles strictes du magasin, les petites mesquineries des clientes (- ou de certains supérieurs!), les enjeux liés au fait de tenir un comptoir, la nécessaire coopération, la vie en général. D’expérience en expérience, elles se forgent des connaissances précieuses sur leur lieu de travail, leur sensibilité propre leur permet de saisir des opportunités, de nouer des liens d’amitié, de déployer leur humanité avec ses failles et ses richesses. Nous les voyons hésiter, se tromper, recommencer, réussir, exceller, prendre des risques parfois inconsidérés d’ailleurs, nous les voyons grandir tout simplement. En effet, il s’agit bien ici d’un récit initiatique. Nous assistons à des parcours de vie, multiples, différents, mais tous émouvants à leur manière. D’ailleurs, des personnages secondaires viennent briller dans l’ombre et évoluent aussi : tante Helen, d’abord revêche et désagréable qui devient plus lumineuse et douce, Fred Burrows, son fils Jack que nous découvrons à la fin, Mick qui reste assez énigmatique même si je soupçonne pour lui un sacré potentiel.
Sous le couvert de ces destins de femme, c’est aussi la fresque d’une époque : l’engouement autour du Titanic, les drames liés à ce paquebot, la mode féminine et masculine, les enjeux économiques d’un grand magasin, les contraintes du mariage, les contraintes exercées sur les femmes : regards désapprobateurs, besoin de chaperon, le regard porté sur celles qu’on nomme les filles de mauvaise vie, les filles séduites, les IVG clandestines, les mariages… Ce petit roman a le bonheur d’évoquer toutes ces réalités, parfois sinistres, sans alourdir l’atmosphère. Cela confère ce qu’il faut de tragique, de sordide pour être réaliste sans pour autant retirer le côté lumineux et léger. Il y a donc un bel équilibre entre réalité et fiction, entre légèreté de la prose et souffrances du monde.
Ainsi, ce premier tome des Demoiselles d’Oxford Street a tout bon pour moi : de la légèreté sans mièvrerie, de la douceur sans édulcorer à l’excès les épreuves de la vie, de la sororité et de l’amitié sans minauderie. Il a le bon goût de nous offrir une fresque intéressante, avec des personnages humains, faits de failles, pétris de contradictions, en butte avec la société et leur destin. C’est une lecture très plaisante et je suivrai avec plaisir les aventures de ces jeunes filles.