
Cette bande dessinée dort dans ma bibliothèque depuis presque une année, et, à la faveur d’un réveil très matinal, je me suis penchée sur son cas. Je me souviens avoir très longuement discuté avec l’auteur et artiste sur un salon, et j’avais en tête qu’il fallait que je découvre enfin l’univers. Ni une, ni deux, sans relire le synopsis, je me suis jetée dedans et je l’ai dévorée.
Le récit commence in medias rem. Nous voyons sous nos yeux un lion affligé, désespéré, torturé par les fantômes du passé qu’il ne comprend pas. Son suicide, dès la première page, nous saisit et nous secoue. Il nous faut un léger instant pour voir la corrélation entre sa mort et l’apparition d’un démon vengeur. J’ai trouvé ce lien entre les deux créatures très intéressant. Notre lion, plus tard, donne des bribes d’explications. Un démon hurle dans sa tête, le libérer le soulage un peu, seule sa mort le libère. Ce démon constraste par son apparence : le dieu vengeur est un herbivore, là où son hôte terrassé par le chagrin et les remords est un terrible carnivore. Ce hiatus entre les deux amène à réfléchir et attise suffisament ma curiosioté pour que j’aie envie de connaître la suite.
De fil en aiguille, nous comprenons que le passé de notre lion joue un rôle clef. Un rôle que notre lion lui-même pressent, sans pouvoir pleinement l’appréhender. Nous sentons confusément qu’il a sans doute mal agi. Son lien avec le démon vengeur sonne donc comme une ironie terrible.
Kgosi, le lion, est à la fois plein de promesse et frustrant. J’aurais tellement voulu en savoir plus à la fin de ce premier volet, savoir s’il est vraiment le monstre qu’il prétend être, comprendre ce que ses souvenirs épars disent vraiment de lui. En revanche, ce qui se profile d’ores et déjà, ce sont les mille et un pièges sur sa route. Son frère, devenu roi à sa disparition voit clairement d’un mauvais oeil de Kgosi puisse un jour revenir, et le roi Charles dévoile toute sa duplicité: mielleux devant Kgosi, il oeuvre en secret pour le maintenir dans une situation d’infériorité. J’aime beaucoup la figure de Hint, le renarde roublarde, chasseuse de prime. Sans le savoir, elle met les pattes dans une situation bien compliquée. De la même façon, le personnage de Wilt est une bouffée d’air frais. Il oppose candeur et soutien indéfectible au caractère taciturne et bougon de Kgosi. Les deux se complètent bien, et seul ce petit être peut fendiller une carapace endurcie par tant de remords et de culpabilité.
J’ai particulièrement aimé les graphismes de cette BD. Nous retrouvons un vrai souffle d’heroic fantasy, l’univers a des accents médiévaux, par certains aspects. Les scènes de combat permettent de souligner la rapidité et la violence des altercations, l’univers est précis et fouillé avec une multitude d’êtres et de lieux de vie. Ainsi, le dessin vient compléter le texte et offre un monde entier à son lecteur. De plus, l’humour n’est pas très loin derrière : les souris sont de terribles combattants aux noms sanguinaires, à l’instar de Othila ( qui n’est pas sans rappeler un certain Attila par proximité sonore!) le roi Charles est un Cavalier King Charles… ce sont autant de petits clins d’oeil qui font sourire et amusent.
Enfin, cette BD contient plusieurs strates de lecture. Nous pouvons rester en surface, bien entendu, mais en creusant un peu, tout un regard sur la société apparaît : la confiscation du pouvoir, les luttes intestines, les conflits larvés et les coups d’Etat, l’oppression, la manipulation, l’asservissement. Une réflexion politique irrigue donc les pages, mais c’est au lecteur de lire entre les lignes et de déployer l’implicite.
Ainsi, j’ai beaucoup aimé ce tome 1. Il m’a tenue en haleine et m’a donné envie de découvrir la suite. j’aimerais percer à jour le mystère de Kgosi, savoir s’il est vraiment coupable et surtout, j’aimerais en savoir plus sur ce démon vengeur, savoir si un jour il sera possible de dissocier les deux. Bref, beaucoup de questions restent en suspens et éveille ma curiosité.