
Petit Pays, c’est un livre dont j’ai beaucoup entendu parler, encensé par beaucoup. Et, comme souvent dans ces cas là, cela a aiguisé ma curiosité mais cela m’a aussi un peu effrayée car cela crée des attentes, forcément, d’entendre autant de commentaires dythirambiques. Alors, j’ai laissé attendre le roman dans ma bibliothèque, le temps d’oublier ce qu’on m’en avait dit et de lui offrir un regard neuf.
Le thème du livre est fort. 1992. Burundi. Gabriel a 10 ans et il vit dans son petit coin de paradis. Mais l’unité familiale se disloque en même temps que l’Histoire met à mal le pays. Plus tard, Gabriel fait revivre ses souvenirs, cette enfance douce et terrible à la fois.
Ce roman est terriblement émouvant. Il saisit au plus profond de son être le lecteur, il lui plante des aiguillons dans le coeur, et, en même temps, par moment, il fait souffler une douce brise de bonheur enfantin. C’est un paradoxe que je ne m’explique pas, mais qui m’a touchée. Un camaieu d’émotions nous traverse lors de la lecture, par vagues, tantôt légères, tantôt tsunamis dévastateurs.
Ce qui m’a frappée, dès les premières pages du roman, c’est le déchirement. La souffrance intériorisée, l’exil vécu comme une amputation. J’ai été profondément émue de sentir Gabriel dans un entre deux, d’avoir le sentiment diffus qu’il lui manquait quelque chose, peu importait là où il était. Tout est dit dans le mot exil. L’exil contraint, forcé, violent, brutal. Celui qu’on n’a pas choisi, celui au coeur duquel on a perdu des êtres chers, l’exil qui a peut être sauvé notre vie mais qui nous a coûté tant qu’on y a perdu une partie de notre être. Voilà ce que j’ai senti affleurer sous les lignes, entre les larmes séchées et les rires envolés.
Revenant sur les traces de son passé, Gabriel nous offre un monde fantômatique, resurgi du passé. Un monde haut en couleurs, truculent se dessine lentement. Des jeux dans l’impasse, des discussions d’enfants, des disputes, des bagarres, des garçons qui grandissent. Mais peu à peu, l’Histoire vient s’en mêler et l’insouciance fait place aux soucis d’adultes, des considérations qu’on aimerait épargner aux enfants. Le conflit entre Hutu et Tutsi, les assassinats brutaux, le génocide, les familles massacrées, les proches disparus, la peur surtout qui grangrène tout. Le ton du livre change, Gabriel cherche à s’évader par la lecture mais l’Histoire le rattrape et sa famille aussi est happée. Plus nous avançons dans le roman et plus notre coeur se serre. J’ai été profondément ébranlée par ce que je lisais, suffoquant face à certains passages, pleurant sur d’autres. Je doute que l’on puisse sortir indemne de la lecture de certains passages.
Ainsi, ce roman est beau et terrible. Il est à la fois doux, empli d’une nostalgie heureuse, et violent, cruel, brutal. Il évoque avec intelligence des thèmes terribles : l’enfance heureuse puis perdue, l’enfance malmenée, un génocide, le deuil, l’éclatement familial, les racines arrachées, l’exil. La plume sert à merveille le propos et sait naviguer au milieu de tout cela pour décupler les émotions. C’est une lecture qui ne peut pas laisser indifférent.