La Lumière de la nuit, Keigo Higashino.

Résultat de recherche d'images pour "la lumière de la nuit"      La Lumière de la nuit fait partie de ces romans que je garde dans ma PAL pour les temps durs, ce sont mes bouffées réconfortantes, ces romans que je sors quand je veux retrouver une atmosphère particulière. Et cette fois-ci, ce fut une aventure toute en émotions!

      L’intrigue est dense : un prêteur sur gages est retrouvé assassiné dans un bâtiment en construction. Une femme et sa fille sont les dernières personnes à l’avoir vu. Tout comme le fils de la victime Ryoko… Mais l’enquête s’enlise, d’autres morts apparaissent, des affaires gravitent autour et sont classées sans que l’on ait levé entièrement le voile. Le temps passe et les protagonistes avancent : enrichissement des uns, affaires troubles des autres. Cette histoire devient la bête noire de Sasagaki, son enquête non résolue, l’affaire à clôturer.

      Ma première surprise a été ici de ne pas retrouver deux personnages récurrents de l’oeuvre de Keigo Higashino. Le duo policier / physicien que j’avais pu suivre dans d’autres romans. Passé cette première surprise, la nouveauté apportée par la figure de Sasagaki, l’enquêteur, était très agréable et m’a évité de pouvoir anticiper sur le récit. J’ai pu découvrir un homme bourru, pugnace, hanté par une affaire dont il sait avoir raté des morceaux. Le meurtre de Kirihara est son fantôme, ce qui apporte une réelle humanité à cet homme brossé à grand traits.

      En toute objectivité, il faut dire immédiatement que la lecture des cent premières pages est exigeante et nécessite un réel effort de mémorisation pour une chose toute bête : les noms et les prénoms! Les personnages ont des noms japonais et il est parfois dur de s’y retrouver, mais quel plaisir une fois que nous sommes immergés dans l’univers! Inutile de vous dire également que l’auteur ne nous facilite pas la tâche puisque certains personnages changent d’identité au fil de leurs aventures plus ou moins honnêtes. De quoi donner le tournis, mais de quoi fasciner aussi!

       Le coup de force de Keigo Higashino, dans ce roman, est bien de déployer un monde entier sans incohérence. Vingt ans s’écoulent entre le début et la fin du récit, vingt ans au cours desquels des victimes et des dommages collatéraux fleurissent, au cours desquels des criminels échappent au maillage de la police et des fleurs vénéneuses éclosent et se multiplient au milieu du charnier de la vie. L’univers créé est donc particulièrement complexe et savoureux. Certains détails distillés nous mettent la puce à l’oreille, nous sentons certaines amitiés ou relations malsaines, mais de manière diffuse, sans preuve directe, rien qu’un pressentiment vaguement étayé, qui se dilue dans le fil de la vie des héros, pour nous revenir deux cent pages plus loin, avec la force et la précision d’un uppercut, nous assommant à moitié et nous laissant abasourdi par la finesse avec laquelle la révélation est amenée, au détour d’une page, innocemment… alors que, vous et moi le savons, cela résulte d’un savant montage, d’une structure fine et précise, ne laissant rien au hasard. Oui, ce roman a une structure assez extraordinaire : façonné par un orfèvre, tout est millimétré pour décupler notre plaisir de lire.

       Alors, oui, j’ai été déçue, au début, quand j’ai vu l’histoire s’enliser, quand j’ai vu les personnages grandir sans que rien ne se résolve. Je me suis demandée si La Lumière de la nuit serait ma première déception dans l’oeuvre de Keigo Higashino. Il n’en est rien, je crois que c’est mon plus grand coup de cœur au contraire, et le fait que l’auteur ait joué avec mes émotions, faisant faire les montagnes russes à mon petit cœur de lectrice n’y est pas pour rien!

       Finalement, j’ai aimé me perdre dans les dédales de la vie et de ses coups bas, faire des conjectures, espérer que tel ou tel soit enfin découvert, que ses machinations tombent à l’eau, qu’une autre se relève de ses blessures, que la reine des abeilles commette un faux pas…. et j’ai aimé voir mes espoirs déçus, j’ai aimé être emmenée là où je ne m’y attendais pas.

      J’ai adoré une fois de plus la plume tendre et acérée de l’auteur. Paradoxal me direz-vous, mais c’est le cas. Keigo Higashino sait écrire des faits sordides, avec le voile de la pudeur : pas de vocabulaire cru, pas de vulgarité à outrance, nous sommes portés par une écriture franche, nette, sans fioriture, qui nous fait ressentir l’horreur par touches au fil des quelques 740 pages. Finalement, la cruauté, la noirceur de l’âme humaine est tout aussi poignante, révoltante et suffocante lorsqu’elle est filtrée par l’art de la suggestion. En tout cas, pour moi, c’est d’une efficacité redoutable, encore faut-il être prêt à laisser l’ampleur de l’histoire se révéler, lentement, pour mieux être saisi par le montage dramatique.

      Le fait de dérouler cette enquête sur vingt ans a un autre énorme avantage : les personnages ont acquis une vraie densité. Nous voyons leur éclosion, leurs erreurs, leurs recommencements, les balbutiements de l’adulte qu’ils deviennent, leur noirceur qui enfle, leur lucidité qui butte sur les machinations et sur la perversité des autres. Cela permet aussi de voir la montée en puissance de certains, les renoncements tragiques des autres.

       Le personnage de Yukiho est fascinant. Cette femme déclenche toutes sortes de réactions : pitié pour le drame de sa vie, intérêt pour sa reconstruction, admiration pour sa réussite, aversion pour ses zones d’ombres. Elle est un personnage clef de l’oeuvre et le lecteur ne prend la pleine mesure de son importance qu’au milieu du roman. Ryoji est aussi un personnage fascinant par les ténèbres qui l’habitent, mais aussi par son génie car il est d’une habileté extraordinaire. Eriko est particulièrement touchante, oisillon tombée du nid, elle reste un personnage important tout en étant assez peu présente dès la moitié du livre. En réalité, je ne vous parlerai pas de tous les personnages, car la galerie imaginée par l’auteur est bien trop impressionnante. Par contre, ma seule certitude, c’est qu’à aucun moment le récit ne fait factice ou ne se perd dans sa propre complexité. De bout en bout, nous avançons, alors même que nous pensons lire une digression. Tout s’articule et s’accélère à la fin et nous arrivons à la résolution de tous les crimes, dévoilant le bourreau mais aussi la victime qui se cache derrière, car finalement, on ne devient pas bourreau sans raison dans ce livre.

      En un mot, ce roman est tout bonnement époustouflant. Il m’a été impossible de le poser du weekend, je l’ai dévoré, tiraillée entre l’envie de comprendre et le besoin viscéral de faire une pause pour reprendre mon souffle.

      La Lumière de la nuit de Keigo Higashino est donc une pépite : complexité, densité romanesque, densité humaine des personnages, rien n’est laissé au hasard et la chute du roman constitue bien l’acmée des vingts ans écoulés, un point culminant sombre, cruel qui réserve encore des surprises au lecteur tout en lui portant l’estocade. Brillant!

        L’image de fin revient pour une fois à ma douce Minette qui n’a pas résisté à jouer elle aussi avec La Lumière de la nuit et qui se pourlèche encore les babines de cette belle lecture.

3 réponses sur « La Lumière de la nuit, Keigo Higashino. »

  1. Ce rouge, ce noir. On construirait une annexe supplémentaire rien que pour avoir l’intégralité des romans qu’ils proposent sous ce format.

    Je ne connaissais pas ce roman. Une très belle découverte apparemment. Il fait désormais partie de ma WishList.

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    1. C’est exactement ça! J’adore cette maison d’édition moi aussi, et la signature des couvertures est top. Effectivement, cet auteur a une plume particulière que j’affectionne beaucoup, c’est toujours assez bluffant! J’espère qu’il te plaira autant qu’à moi!!

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